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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/862

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connaître, déclare-t-il, et bien comprendre ces doctrines, les expliquer, autant qu’on en est capable, comme le ferait l’auteur lui-même, les exposer selon l’esprit et jusqu’à un certain point dans le style de cet auteur : telle est la tâche essentielle, celle à laquelle toutes les autres doivent être subordonnées. » Effectivement, M. Boutroux n’a jamais composé une histoire de la philosophie proprement dite, mais écrit de courtes et substantielles monographies sur Aristote et sur Socrate, sur Descartes et sur Pascal, sur Kant et sur Leibnitz, sur Boehme et sur William James, et, finalement, donné un nombre considérable de préfaces, où les idées maîtresses de chaque penseur <ont mises en pleine lumière.

Il ne néglige rien pour y parvenir. Renseignemens historiques, biographiques, psychologiques, il utilise tout, mais dans l’unique dessein de mieux pénétrer l’œuvre. Bien plus, il s’efforce — et il y réussit — d’entrer en sympathie avec chacun. « Pascal, avant d’écrire, se mettait à genoux, dira-t-il, et priait l’Être infini de se soumettre tout ce qui était en lui, en sorte que cette force s’accordât avec cette bassesse. Parmi les humiliations, il s’offrait aux inspirations. Il semble que celui qui veut connaître un si haut et si rare génie dans son essence véritable doive suivre une méthode analogue, et, tout en usant, selon ses forces, de l’érudition, de l’analyse et de la critique, qui sont ses moyens naturels, chercher, dans un docile abandon à l’influence de Pascal lui-même, la grâce inspiratrice qui, seule, peut donner à nos efforts la direction et l’efficace. » M. Boutroux pose là un principe qui devrait dominer toute critique, s’il est vrai qu’elle ne consiste pas exclusivement, comme beaucoup se l’imaginent, à éplucher les défauts, mais, avant tout, à comprendre et, pour comprendre, à aimer. Comment n’y aurait-il pas été conduit, lui pour qui les hypothèses des philosophes s’adressent au cœur non moins qu’à l’intelligence ! De fait, il conteste le soi-disant droit qu’aurait l’historien de séparer les systèmes de qui les a conçus, comme, en histoire naturelle, on isole l’œuvre morte — dépouille corporelle — de la spontanéité désormais figée qui lui a donné naissance. M. Boutroux doit, à cette attitude, que sert un grand talent littéraire, d’avoir fait de chacune de ses études d’histoire de la philosophie un chef-d’œuvre de divination. Il ressuscite, à la lettre, l’âme de chaque doctrine en la revivant à son tour. Il cherche avec