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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/868

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faisait notoirement profession d’athéisme avec les La Mettrie, les Helvétius et les d’Holbach.

Quoi qu’il en soit des uns et des autres, le sentiment religieux n’en vivait pas moins ardent au cœur de ses fidèles. Dès le moyen âge, les mystiques protestaient contre une conception de la religion beaucoup trop rationnelle à leur gré ; ils accusaient la scolastique de soumettre la foi, sous prétexte de l’expliquer, à l’entendement qui devait paraître, plus tard, s’identifier non seulement avec la philosophie, mais avec la science. La vitalité du sentiment religieux, en face d’un rationalisme croissant, explique, d’ailleurs, l’attitude de Pascal et des philosophes anglais du XVIIe siècle, qui firent, par contre-partie, de l’élément irrationnel de la nature humaine, c’est-à-dire du sentiment, le fait premier et fondamental. Pour eux, comme, plus tard, pour Rousseau, la religion, parce qu’elle sourd du cœur, doit bénéficier d’une pleine indépendance. Dans les premières années du XIXe siècle, enfin, Schleiermacher intronisait dans la théologie allemande cette tendance sentimentale, que le romantisme d’un Chateaubriand devait exalter, littérairement, en France. Il enseignait que ni l’intelligence, ni même la volonté, ne nous introduisent dans le divin, la religion étant essentiellement affective. Quant à la science, symbolique elle-même, il la défiait d’en pouvoir contrarier les symboles.

Ainsi, le duel de la religion et de la science aboutissait à une espèce de concordat où chacune devait être maîtresse chez soi, sans rien à voir chez la voisine ; ce qui ne veut pas dire, certes, que l’alliance n’ait pas été troublée, au cours du siècle dernier, par leurs prétentions respectives, mais inverses, à la toute-puissance.

Avant de nous donner son avis, et pour nous le donner en connaissance de cause, c’est-à-dire en s’appuyant, selon sa coutume, sur l’histoire même des idées, M. Boutroux nous retrace les dernières phases de cet antagonisme.

Il nous fait assister aux efforts de la science contre la religion, soit qu’avec Spencer elle rejette sa rivale dans la sphère de l’inconnaissable ; soit qu’avec l’aide du psychologisme et du sociologisme alliés elle tente d’expliquer le sentiment religieux par des faits communs, psychiques ou sociaux ; soit qu’enfin elle se targue de le remplacer par sa propre idolâtrie, comme l’entrevoit déjà Haeckel, pour qui la science est appelée à