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régime. Merlin, conte Rabelais dans Gargantua, procure à Grand-Gousier et à Gargamelle « une grande jument si puissante qu’elle les portait aussi bien tous deux que fait un chenal de 10 écus un simple homme. » Ce cheval de 10 écus, — ou 320 francs actuels, — pris pour type de l’espèce la plus vulgaire en 1535, coûtait autant et souvent davantage cent et deux cents ans plus tard.

Au contraire, nous ne retrouverons plus sous Louis XIV et Louis XV rien d’équivalent, je ne dis pas au « cheval d’Espagne » blanc que le duc de La Trémoïlle achetait 29 000 francs du temps de la Ligue (1592), à celui de 21 000 francs que Bassompierre s’offrait sous Henri IV, ni au cheval de cérémonie, — cavallo di rispetto, — que, sous la régence de Marie de Médicis, Concini payait 32 000 francs ; mais même aux coursiers de 8 000 et 10 000 francs dont le maréchal de Montluc (1583) faisait présent à ses capitaines et compagnons d’armes.

Nous ne voyons même plus aux temps modernes d’étalons de 9 000 francs, comme on en vendait, nous dit Albert Dürer, en 1521 à la foire d’Anvers. Le grand Sully, avisé brocanteur en la matière, qui trouvait au marché pour 900 francs un roussin fleur-de-pêcher, propre tout au plus, semblait-il, à porter la malle et devenu « si excellent cheval » qu’il le revendit 4 300 francs au vidame de Chartres, aurait eu peine à obtenir ce prix vers la fin de l’Ancien Régime ; à plus forte raison n’eût-il pu repasser pour 8 600 francs à M. de Nemours une bête qu’il avait acquise 4 000 francs de M. de La Roche-Guyon (1585).

L’avocat Barbier se fait, au XVIIIe siècle, l’écho de propos en l’air qui prêtaient au prince de Carignan « nombre de chevaux, » les uns de 17 000, les autres de 11 000 francs ; mais ce sont là de purs commérages. Les inventaires, les achats effectifs surtout, seules bases sérieuses d’appréciation, ne mentionnent plus que de modestes prix chez les plus riches amateurs, depuis Turenne, qui met seulement 1 600 francs pour un cheval de bague « fort beau et fort glorieux, » jusqu’à Saint-Simon (1692), qui n’a pas un cheval de plus de 1 000 francs, jusqu’à La Trémoïlle, dont le cheval anglais, Agé de sept ans, vaut 900 francs et jusqu’au duc de Croy, qui paie 1 200 francs ses chevaux de chasse.

D’où venait un changement si brusque ? Ces chevaux rares, que Von avait longtemps payés si cher, avaient-ils disparu ? Avait-on trouvé au contraire le secret d’en augmenter si fort la