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politique, comme nonce du Pape à la Cour de Charles-Quint. Nous pouvons assez mal nous faire une idée de la diplomatie à cette époque. Si enclins que nous soyons à déclarer notre diplomatie moderne instable et impuissante, nous avons l’habitude, aujourd’hui, de systèmes d’alliances suivis pendant de longues années, parfois un quart de siècle, et lorsqu’ils viennent à changer, ce n’est que par des conversions savantes, lentes et graduées. Au XVIe siècle, c’étaient des tête-à-queue brusques, qui désarçonnaient le cavalier. Les négociations étaient, d’ailleurs, traversées par des incidens violens que nul ne pouvait prévoir, la discipline moderne étant quelque chose d’à peu près inconnu dans les armées de ce temps, et chacun bataillant ou bien, au contraire, traitant de son côté. Il faut lire, dans le bel ouvrage de Julia Cartwright sur Castiglione, le résumé de cette carrière de diplomate pour se faire une idée de son infinie complexité[1]. Placé entre le Pape et l’Empereur, dont il était également aimé et admiré, mais qui ne s’aimaient guère et ne s’admiraient point l’un l’autre, Castiglione passait son temps à raccommoder ensemble ces deux « moitiés de Dieu ; » — ouvrage ardu, pointilleux, arachnéen au possible. Il y travaillait depuis trois ans, lorsque la politique de Clément VII, échappant à ses conseils, et s’engageant dans d’inextricables contradictions, aboutit à la catastrophe qui, par choc en retour, devait le tuer.

Le sac de Rome, en 1527, fut une date : — une de ces dates qui coupent un siècle en deux, un signet rouge dans l’amas confus des feuillets de cette histoire, quelque chose comme la date 1870-1871 dans notre Europe du XIXe siècle. Elle atterra l’univers, elle lui fit horreur, bien plus que n’avait fait la prise de Constantinople. La prise de Constantinople, c’avait été la mort d’un vieillard affaibli, depuis longtemps diminué, une fin attendue d’heure en heure. La prise de Rome, c’était le coup de foudre qui frappe, en pleine jeunesse, un organisme éclatant de vigueur, qui prouve que nul n’est à l’abri, et, par là, épouvante tous les autres. C’était, aussi, un des brusques retours de la barbarie primitive, ruinant la ville du monde où la civilisation et l’humanisme avaient entassé le plus de trésors. La prise de Rome avait, sans doute, été voulue par l’Empereur, mais non pas

  1. Baldassare Castiglione, the perfect courtier, his life and letters, 1478-1529, by. Julia Catwright (Mrs Ady), 2 vol. Londres, 1908.