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hautes retentissant sous les voûtes, et, soudainement, au milieu des torches, l’apparition du jeune Francesco Maria della Rovere, et de sa suite, de retour de voyage. Il avait demandé où était la duchesse, sa tante ; on lui avait dit qu’elle présidait un cercle littéraire où Ion discutait des vertus que doit avoir l’homme du monde, — et il accourait pour ne rien perdre de ce savoureux débat. Une autre fois, c’était toutes les dames de la Cour se levant, sur un signe de la duchesse, et entourant le jeune Pallavicino, en le menaçant de l’écharper s’il continuait à dire du mal des femmes, au milieu des éclats de rire, tandis qu’il criait : « Vous voyez bien que vous avez tort ! Voilà que vous voulez employer la force et, de cette façon, clore la discussion parce qu’on appelle une licenzia bracciesca !… »

C’est durant ces soirées que se forma, peu à peu, dans les esprits, le type du parfait homme de Cour, du Cortegiano, retracé plus tard par Castiglione. A lire le récit de ce gioco, il semble que l’on s’amusât à créer, de toutes pièces, une œuvre d’art, qu’on façonnât, peu à peu, une statue précieuse : chacun, tour à tour, y mettait la main. D’abord, Ludovico da Canossa disait les talens requis de l’homme de Cour, sa formation morale et intellectuelle. Puis Federico Fregoso exposait l’usage que cet homme de Cour devait faire de ses talens, et Bibbiena, de son esprit. Giuliano de Médicis montrait, ensuite, ce que devait être, à ses côtés, la femme idéale. Ottaviano Fregoso modelait le parfait Cortegiano dans son attitude et ses gestes en face de son souverain. Pietro Bembo s’approchait, enfin, de cette terre artistement travaillée et y insufflait le souffle divin qui devait l’animer.

Le soir où il y mit la dernière touche peut passer pour le point culminant de l’Humanisme. La pensée de la Renaissance touche à son zénith. On était réuni, comme d’ordinaire, dans une grande salle du palais d’Urbino. La soirée était fort avancée parce qu’on avait dû courir tout le palais pour trouver Ottaviano Fregoso, lequel s’était engagé à parler des rapports du parfait courtisan avec son prince. En l’attendant, on avait dansé. Enfin il parut et l’on aborda la question de savoir si le parfait homme de Cour doit aimer. On avait établi que, pour être un véritable homme d’Etat, le Cortegiano ne devait pas être jeune. Et l’on avait, aussi, convenu qu’il était ridicule à un homme mûr d’être amoureux. Cependant l’homme n’est pas complet