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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/169

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les avait peuplés de statues martiales, qui avait revêtu son palais de cette sorte de « livrée royale » où se reconnaissait le style de Louis XIV ; là enfin que se déroulait la Galerie des Batailles, la page magnifique, peinte sur toile, des actions de M. le Prince, comme on appelait de son temps les immortelles victoires du grand Condé.

Qu’on se représente Louis-Joseph, un enfant intelligent et pensif, ayant déjà lu dans ses livres d’étude les hauts faits des grands hommes de l’antiquité ou du moyen âge. Il est introduit là par son tuteur. Ce mentor le tient par la main, l’invite à se découvrir, l’arrête devant chaque tableau et lui fait sommairement le récit ou le commentaire de l’épisode (toujours un exploit français) ; lui explique le site, lui montre les deux partis en présence ; lui signale le panache blanc du vainqueur. Louis-Joseph écoute silencieux, captivé, et répète à voix basse les noms retentissans de Rocroi, de Nordlingen, de Lens, de Senef, de Fribourg. De si grands titres, qu’il entend sans doute prononcer ainsi pour la première fois, devant l’image même de la bataille dont ils sont l’emblème, se gravent plus fidèlement dans sa mémoire. La visite aura décidé peut-être de l’orientation de sa vie. Il sent le génie de son ancêtre qui lui montre la voie. Comment hésiterait-il à la suivre ?

Peu de jours après, une première distinction militaire vient confirmer l’heureuse impression du néophyte. Il obtient le grand prieuré de France et parait à la Cour, avec la croix de Malte sur la poitrine. Cet ordre lui vaut cent mille livres de rente. C’est la récompense des plus anciens commandeurs de Malte : « Louis XIV, dit Luynes[1], n’eût pas eu les mêmes complaisances pour un prince du sang. » Dieu sait cependant si ce grand roi faisait du népotisme.

Ici, Louis XV semait pour récolter plus tard. Si la semence était bonne, le sol était généreux, bien cultivé surtout.

Le physique d’abord : c’est la base de toute éducation virile. De bonne heure, Charolais chercha à développer chez l’enfant les exercices du corps. Louis-Joseph se livra avec passion aux battues et aux laisser-courre en forêt de Chantilly ; il supportait vaillamment ces fatigues au-dessus de son âge, et non sans danger ; son oncle eut, dans une chasse, la cuisse décousue par

  1. Luynes, IX, 123 : XI, 361.