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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/175

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été à portée d’en faire mon ami intime ; mais quand il le serait autant que M. de Soubise, je ne prendrais pas sur moi de le faire nommer, dans la crainte d’avoir à me reprocher les événemens. »

La favorite avait eu moins de scrupules avec son ami Soubise. Le choix de d’Estrées valait mieux sans doute, bien qu’imparfait encore. Que de réformes eut à faire le nouveau commandant en chef en arrivant en Allemagne ! Tous les abus pesaient sur l’armée, jusqu’à ceux des trains princiers. Condé lui-même, par inexpérience, avait suivi la mauvaise tradition. A ses débuts de campagne en 1757, il était parti emmenant une suite de deux cent vingt-cinq chevaux, et des valets en proportion. Il se présenta à l’armée avec un luxe quasi royal, traitant ses officiers à une table somptueuse. Il fallut bientôt réduire ce fâcheux étalage. La simplicité seule, à la guerre, sied au commandement. C’est d’elle qu’il tire une partie de son prestige et de son autorité. Condé l’eut vite compris, se réforma, se fit humble et vrai camarade dans ses rapports avec ses sous-ordres. Il eut le bon goût de se créer des amitiés auprès des plus expérimentés, comme le vieux Chevert, le héros de Prague ; parlant aux uns de sa propre insuffisance, demandant aux autres des conseils, en attendant qu’il en pût donner lui-même, faisant apprécier son endurance, son tact et son esprit de discipline : « Il se montre, dit Voltaire, partout où il y a un péril à braver et une leçon à prendre[1]. »

Peu après son arrivée, l’armée française passe le Weser. La bataille d’Hastenbeck (26 juillet 1757), où, pour parler comme Voltaire, « le sang de France soutint la gloire de la patrie contre le sang de l’Angleterre, » lui offre la première occasion de se signaler. Il a auprès de lui le Duc d’Orléans et le comte de La Marche : le fils du vainqueur de Coni, son cousin, le dernier des Conti[2].

Dans ce combat acharné, l’ardeur juvénile de notre prince va jusqu’à la témérité. Il s’expose au feu comme à plaisir. Son entourage veut le retirer d’un poste trop périlleux ; il répond en souriant : « Je ne trouve pas ces précautions dans l’histoire du grand Condé[3] ; » mot chevaleresque, digne d’ailleurs du

  1. Siècle de Louis XV, III, 162.
  2. Louis-François-Joseph comte de la Marche, né en 1734.
  3. Gazette du 4 août 1757. Récit officiel de la bataille d’Hastenbeck, Dépôt de la Guerre. Mémoires de Mme Campan, II, 52.