Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de couturière, de modiste et autres fournisseurs. Il est, celui-là, l’hôte de prédilection de Mme Orlonia, le mondain suivant sa philosophie, le pratiquant de sa dévotion à l’amour. Il aurait dû vivre au XVIIIe siècle. « Ah ! l’époque délicieuse ! Un rapide accord et un souriant adieu ! De fugitives faveurs ! Une reconnaissance éternellement légère ! » A des degrés divers, avec la différence des âges et des situations, tous les amis de Mme Orlonia appartiennent à la même confession. Pour eux tous, l’amour n’est que l’échange de deux fantaisies. C’est ici un coin du XVIIIe siècle aimable, facile, frivole, élégamment corrompu et libertin.

Dans cette société légère et amorale transportez un être de droiture et de loyauté, de sentimens graves, de profonde vie intérieure, quel contraste, quel bouleversement inattendu ! Le jeu est tout d’un coup et violemment troublé. La fête, la petite fête, tourne au drame. Et voilà justement l’effet que va produire, dans le divertissement galant réglé par Mme Orlonia, l’arrivée de Florence de Raon.

Cette jeune femme, mariée depuis douze ans, a trouvé dans le mariage un bonheur sans mélange. Elle aime uniquement son mari, Gilbert, en qui elle ne doute pas d’avoir le modèle des maris. Aussi ne saurait-on dire si elle est plus stupéfaite ou plus révoltée par le langage de Mme Orlonia, chez qui elle vient pour la première fois en séjour, et qui tout de suite lui fait les honneurs de sa maison et de ses théories. Il lui semble qu’elle est soudainement jetée dans un pays étranger dont l’air malsain l’indispose et dont les coutumes lui font horreur.

Une autre conversation va l’achever de peindre. C’est ici la scène capitale du premier acte, celle qui est destinée à orienter le spectateur et pose le problème moral que le dramaturge a voulu traiter par les moyens du théâtre. Gilbert a un ami, Jincour, qui est le Pylade de cet Oreste. Leur amitié rappelle les exemples fameux de l’histoire et de la légende. Il n’est pas de preuves que Jincour n’ait données de cette amitié prête à tous les héroïsmes. Il parait qu’il a fait décorer Gilbert à sa place, ce qui évidemment est très beau. Il serait capable de faire encore plus. Enfin ce n’est pas un ami, c’est l’ami. Or cet ami du mari brûle de devenir l’amant de la femme. Il prendrait sa femme à son ami, sans cesser pour cela d’être le plus sincère et le plus vrai des amis. Cela paraît fou et odieux à la jeune femme : « FLORENCE. — Votre état d’esprit me suffoque !… Je reconnais qu’il vous est commun avec beaucoup d’hommes qui, sur le reste, sont également des types de loyauté scrupuleuse, d’élégance morale. Vous et vos pareils, vous ne