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Le hasard qui règne dans les romans réalistes n’est pas moins artificiel que l’ordre ; et, les personnages nombreux qu’il y a dans les Fabrecé, M. Paul Margueritte les a triés bel et bien : ces sont les échantillons les plus divers de l’homme d’aujourd’hui. Il les a triés ; il les a même inventés. L’invention se perd dans la foule- ; mais nous l’apercevons de place en place : bientôt, nous ne cessons plus de la voir. Je ne sais pas de fiction qui, mieux que ce roman réaliste, ne donne au moins l’illusion de la réalité.

L’œuvre, — qui, à certains égards, est un recueil ou un amalgame de nouvelles, — a pourtant son unité.

Eh ! oui. Que la tendance à l’unité soit ou la profonde harmonie des choses ou l’infirmité de notre nature, on n’y échappe pas. Mais l’unité de ce roman n’est pas dans les anecdotes ; elle ne provient pas de la suprématie de telle anecdote ni de tel personnage… Ou, plutôt, si : d’un personnage. On ne le voit pas ; et il agit perpétuellement. C’est : la famille.

Ici encore, M. Paul Margueritte a suivi la vieille esthétique du genre. La famille est, dans les Fabrecé, tout de même que, dans Germinal, la machine dont la « respiration grosse et longue » emplit toute l’atmosphère du Voreux. A chaque instant, la famille apparaît, et non sous les espèces des parens, — on ne voit, guère le père Fabrecé, que retiennent à Paris le Sénat et l’Institut, — mais à l’état d’une entité, d’une hantise. La machine de Germinal, une fois décrite, n’est-elle pas également devenue un symbole ?

Jean-Marc s’amuserait : la famille le lui défend. Et Antoine, amoureux et doux, épouserait sa sœur de lait : la famille l’en empêche. Olivier prendrait pour femme la jeune infirme dont l’âme exquise le tente : mais la famille lui interdit un mariage stérile. Et Simone irait au charmant docteur Le Jas : mais la dignité de la famille l’oblige à rester l’esclave d’un fou. Ainsi des autres. Chaque fois qu’un de ces pauvres êtres céderait à sa velléité de bonheur, la famille, l’idée de la famille intervient, dure et impérieuse. La machine, dans Germinal, est une formidable mangeuse d’existences ; la famille, dans les Fabrecé, est une perpétuelle destructrice de joie.

Seulement, pour Emile Zola, cette machine fait de la poésie ; sa respiration grosse et longue est le refrain du farouche poème. M. Paul Margueritte n’est pas un lyrique. Plus timide que son maître, il n’a point tiré de son thème ces effets-là. Il n’a point évité que la famille, avec ses continuels retours, ne semblât un peu taquine et tatillonne, au lieu d’être auguste et redoutable.