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nervosité était montée. Ignorait-elle donc que notre diplomatie avait exercé une action utile, efficace sur la Porte pour la déterminer à accepter le traité dans les termes où il était conçu ? N’était-ce pas le reconnaître d’avance dans tous ses effets ? Et au surplus, par un arrangement spécial, n’avions-nous pas reconnu, depuis dix ans, tout ce que l’Italie pourrait faire dans la Libye ? Mais passons ; ce mouvement d’impatience de l’opinion italienne a été bientôt calmé et n’a pas d’importance ; il n’en aurait, comme symptôme, que si l’Italie, oubliant que nous sommes ses seuls voisins en Afrique, négligeait les ménagemens mutuels que cette situation nous recommande d’observer, et auxquels nous sommes bien résolus à ne jamais manquer. L’Italie donc, dégagée désormais des préoccupations africaines, peut apporter au concert des Puissances le concours de son intelligence politique et de son expérience avisée.

Ce concert des Puissances est un mot qu’on ne prononce pas aujourd’hui sans provoquer quelque scepticisme. On se demande s’il existe vraiment ; s’il existait hier, lorsqu’il a paru se former d’abord autour de la proposition du comte Berchtold, ensuite autour de celle de MM. Sasonoff et Poincaré ; s’il existera demain lorsque, la guerre des Balkans étant terminée ou sur le point de l’être, il faudra aider vainqueurs et vaincus à en fixer les résultats. Sur tout cela, nous n’avons que des lumières un peu incertaines, clignotantes, entourées d’ombres que la lecture attentive des journaux européens ne parvient pas à dissiper. Une seule chose paraît probable ; encore ne l’est-elle que si la fin de la guerre ressemble au commencement : c’est qu’il sera devenu impossible de s’en tenir strictement au principe qui avait été posé par MM. Sasonoff et Poincaré et accepté par tout le monde, à savoir que, quoi qu’il advint, le statu quo territorial des Balkans serait maintenu. Rien, certes, n’était plus désirable et, avant la guerre, tout le monde semblait être de cet avis. Les États balkaniques eux-mêmes protestaient à qui mieux mieux de leur désintéressement territorial : à les entendre, il ne s’agissait pas pour eux d’étendre leurs frontières, mais seulement de libérer leurs frères slaves ou grecs de la servitude ottomane, au moyen de réformes qui se feraient sous le contrôle de l’Europe et aussi sous le leur. L’entreprise où ils entraient n’avait pas d’autre objet ; on les aurait blessés si on en avait douté. On en doutait cependant quelque peu, en quoi on verra bientôt si on avait tort ou raison. La Serbie occupe aujourd’hui le territoire de la Vieille-Serbie, la Grèce occupe celui de la Thessalie et en partie de l’Epire : leur demandera-t-on de les restituer à la Turquie, et, si on le leur