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circonstances étaient particulièrement favorables, la grossesse de la Reine étant bien faite pour émouvoir le sensible Louis XVI et ajouter encore à sa complaisance conjugale. Les observateurs de la Cour avaient cru, il est vrai, dans les premières semaines, remarquer des tendances contraires. Le Roi paraissait, disaient-ils, plus libre et plus enjoué d’humeur, plus « assuré » surtout, dans ses rapports avec sa femme, il lui parlait d’un ton plus « dégagé, » et l’on en inférait déjà qu’il montrerait sans doute une volonté plus ferme. Véri se fait l’écho de ces suppositions : « La nature, professe-t-il, a mis une certaine dose de bonté et de timidité chez les maris qui n’en remplissent pas les devoirs. Le Roi a passé plusieurs années dans cette incertitude. La grossesse est venue lui confirmer l’assurance du contraire, et c’est sans doute ce qui le rend moins craintif avec la Reine[1]. » L’explication est juste : mais cette confiance en soi n’était pas pour détruire l’effet des sentimens nouveaux qui s’éveillaient dans le cœur de Louis XVI, une affection croissante pour la femme qu’aujourd’hui seulement il regardait vraiment comme sienne, une reconnaissance attendrie pour « le gage si précieux qu’elle portait en son sein. »

La Reine, habilement dirigée, touchée sans doute aussi de la tendresse du Roi, sut profiter de ces dispositions. On remarque dès lors une différence sensible dans son langage et ses manières. Elle abdique ses anciennes froideurs, ses négligences, ses affectations de dédain ; elle prend souvent la peine de consulter Louis XVI sur ses « affaires particulières, » sur ses amis, sur ses plaisirs, l’emploi de ses journées ; elle le mêle davantage à son existence quotidienne ; et elle, achève de le gagner par des prévenances, des « gentillesses, » dont il avait, jusqu’à ce jour, ignoré la douceur. Cette méthode réussit au gré de ses désirs. C’est à partir de ce moment qu’elle devient réellement puissante et qu’elle domine les volontés du Roi. Ce que Louis XVI lui concédait jadis par faiblesse, presque par contrainte, il l’accorde à présent par affection, avec un empressement joyeux. Toute la Cour constate ce changement. Maurepas confie à l’abbé de Véri que, dès qu’un ministre, au Conseil, a signé quelque « grâce » pour l’un des amis de la Reine, on voit Louis XVI, « la feuille en main, s’échapper de son cabinet, »

  1. Journal de Véri, 1778.