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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/309

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sur le comte de Maurepas, lequel, « ne pouvant si facilement éluder ses questions, se contentait de réponses vaines, non sans souffrir du personnage simulé qu’il devait jouer, sur un point qui n’était pas encore résolu[1]. » La Reine, de son côté, se voyait « assaillie » par la duchesse de Polignac et le comte de Vaudreuil, s’efforçait à tous deux d’obtenir qu’elle engageât franchement le Roi « au renvoi du sieur de Sartine et à la nomination du marquis de Castries. » Le plan était de la faire d’abord consentir à donner à Castries une audience, où elle lui promettrait ouvertement sa protection, « de manière, disait-on, qu’il connût qu’il lui serait entièrement redevable de son élévation[2]. » Une fois qu’elle se serait ainsi compromise dans la cause, il faudrait bien qu’elle poussât les choses jusqu’au bout. Mais Mercy-Argenteau, averti par une confidence de Marie-Antoinette, la détourna vivement de brûler ses vaisseaux. Il lui montra, comme une perspective vraisemblable, le mécontentement de Maurepas, son opposition déclarée, l’effraya de l’idée d’entrer directement en lutte avec le conseiller du Roi, lui arracha finalement la promesse de demeurer « passive, » simple spectatrice du combat. Il ne put empêcher pourtant que la Reine ne reçût, à quelques jours de là, le directeur général des finances et qu’elle ne le traitât avec une bienveillance marquée, tout en se gardant soigneusement de prononcer des mots irréparables.

Malgré cette réserve prudente, ce fut cet assez banal entretien qui, rapporté par Necker lui-même à Maurepas, lui donna à penser que Marie-Antoinette prenait décidément parti pour le directeur général, et le détermina, par suite, à garder la neutralité, du moins en apparence. « Il vit dès ce moment, dit l’abbé de Véri, une intelligence de Necker avec la Reine, à laquelle il lui faudrait bien céder[3]. » Lorsque, par la suite, il connut, d’une manière plus exacte, à quoi s’étaient réduits les propos de la Reine, il se crut joué par le directeur général et lui

  1. Journal de Véri.
  2. Ibidem et Lettre de Mercy à l’Impératrice du 18 novembre 1780. — Correspondance publiée par d’Arneth.
  3. « M. de Maurepas ajoute Véri, demanda à Necker si la Reine, dans cette entrevue, avait parlé de lui : « Avec beaucoup de considération, » lui répondit Necker. Cette réponse ne se concilie pas avec divers indices que j’ai de l’opinion de la Reine. Selon moi, c’est une politesse de Necker… Voilà, termine le narrateur, le premier pas que nous voyons faire à la Reine pour se mêler des places ministérielles, avec le consentement du Roi, car elle a dit à Necker qu’elle avait la permission de son mari de lui parler de cette affaire. »