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raccommodement est complet ; « les nœuds de l’amitié sont plus resserrés que jamais, » et, pour sceller l’accord, la Reine s’engage, avec une volonté plus forte, à faire congédier Montbarey et à faire arriver Ségur. C’est à cette conclusion qu’aboutit, tout compte fait, le calcul sournois de Maurepas.


Pendant toutes ces menées de Cour et ces drames de boudoir, ceux qui, à leur insu, en étaient la cause innocente n’y prenaient aucune part et « laissaient agir la fortune. » Ségur et Puységur, en adversaires courtois, avaient, dès le début, pris rengagement mutuel de ne « rien faire l’un contre l’autre, » d’attendre l’événement dans une neutralité parfaite ; et tous les deux tenaient scrupuleusement parole. Dans l’autre camp, le prince de Montbarey ne montrait pas, de son côté, beaucoup d’ardeur à se défendre. Il paraissait pourtant un peu plus agité. Sans imiter Sartine, qui entretenait des espions à ses gages pour l’informer de tout ce qu’on disait sur son compte[1], il n’était pas sans être renseigné sur la « ligue » formée contre lui. Il se savait haï de Marie-Antoinette, difficilement supporté par Necker, battu en brèche par de hauts personnages, irrités des passe-droits dont eux ou leurs amis croyaient avoir été l’objet : « Sans parler du prince de Condé, du prince de Conti, du duc de Chartres, du duc de la Trémoille et du maréchal de Richelieu, dit une gazette du temps, on cite au moins vingt seigneurs et une centaine de militaires de la première volée, qu’il a eu l’art de mécontenter sans retour. » Le secret appui de Monsieur et la protection affichée de Mme de Maurepas ne le rassuraient qu’à demi contre la disgrâce imminente, dont il sentait déjà la menace peser sur sa tête.

Il était visible, en effet, que Louis XVI, chaque jour davantage, se détachait d’un serviteur dont la moralité lui était devenue suspecte. Certains mouvemens d’humeur lui échappaient, d’où l’on pouvait conjecturer ses sentimens intimes. A la fin de novembre, une quarantaine de places étant vacantes à l’Ecole militaire, Montbarey, suivant l’habitude, présentait à la signature une longue liste de candidats, entre lesquels le Roi devrait choisir ; en regard de chaque nom, le prince avait inscrit celui du protecteur : recommandé par la Reine, par Monsieur, par

  1. Correspondance de Métra, 10 août 1779.