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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/358

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ont été les premiers surpris. Certes, les soldats savent encore souffrir, combattre et mourir, mais ils n’ont plus confiance dans le succès ; ils ne savent plus pour quoi ni pour qui ils se battent. Un souverain sans énergie, des présidens du Conseil octogénaires, des officiers politiciens, plus connus dans les clubs que dans les casernes et qui raisonnent sur les misères de la guerre, partout la division, l’incertitude, le désordre. La Jeune-Turquie a ébranlé les antiques vertus des Ottomans, mais elle n’a pas déraciné leurs vices. L’écroulement de la puissance turque en Europe aura suivi de près la révolution qui devait la régénérer.

Le Stamboul du 23 octobre annonçait que la veille, à deux heures de l’après-midi, le sultan Mohammed V, accompagné de ses fils et de quelques aides de camp, est allé en pèlerinage à la mosquée et au tombeau du sultan Mohammed II le Conquérant. Le souverain fit ses dévotions à la mosquée, puis il pénétra seul dans le turbé où git, entre quatre cierges, la poussière de celui qui fut le vainqueur de Constantinople et qui plaqua sa main sanglante sur la muraille de Sainte-Sophie. Si l’honnête et pâle empereur, Emir-al-Moumenin, sultan et padischah des Ottomans par la grâce de la Révolution, qui porte le nom trop lourd du prophète fondateur de l’Islam et du conquérant qui effaça de la carte du monde le dernier vestige de l’Empire romain, est allé chercher la grande leçon qui émane de ces voûtes et demander à son glorieux ancêtre le secret des révolutions de l’histoire, l’ombre du Sultan Fatih lui aura appris quelles lois divines et humaines président à la vie et à la mort des empires de la terre.


IV

L’heure du canon n’est pas celle des diplomates ; l’action de ceux-ci ne s’exercera que dans un cadre dont celui-là aura déterminé d’abord les dimensions. Tant que la guerre n’est pas finie, il est vain de chercher à devancer le destin ; nous nous abstiendrons donc aujourd’hui de tracer la carte future de la péninsule ; nous nous contenterons, en terminant, d’une observation d’intérêt général. Les grandes puissances auront certainement un mot à dire dans les négociations qui suivront la paix ; elles auront probablement la parole dans un Congrès. L’exemple de ce qui s’est passé à Berlin nous autorise à émettre le vœu