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Mais je ne puis cacher à Votre Majesté que cette auguste princesse a jusqu’à présent une répugnance si marquée pour toute affaire sérieuse, qu’elle n’y donne que très momentanément l’attention nécessaire. Ses alentours favoris abusent à leur profit de son crédit ; mais, quand il s’agit de choses qui la touchent immédiatement, la Reine devient incertaine, craintive dans ses démarches, et finit par tomber dans l’inaction. » L’histoire de tout ce qui va suivre est résumée d’avance en ces quelques phrases de Mercy. La Reine, après avoir triomphé de Maurepas et conquis de haute lutte « le premier crédit dans l’Etat, » n’utilisera guère son pouvoir que pour des objets secondaires. On la croirait indifférente à tout ce qui devrait pourtant l’intéresser plus que personne, puisque, déjà femme du souverain, elle va devenir prochainement mère du dauphin, de l’héritier du trône[1]. Presque jamais, dans la période où nous entrons, on ne la voit intervenir dans les occasions importantes. Par légèreté, par nonchalance, elle laisse Maurepas reconquérir son influence perdue, saper dans le conseil du Roi les hommes dont elle reste l’alliée, dont elle apprécie les services, dont, avec un léger effort, elle pourrait défendre la cause. Le jour du renvoi de Necker, elle pleurera de bonne foi le départ du ministre, mais elle n’aura rien fait pour empêcher sa chute.

En revanche, elle ne s’épargne pas, quand il s’agit de satisfaire sa société particulière. Plaire à son entourage est l’unique but de son activité, et, comme cet entourage est généralement fort avide, elle use sa force à procurer des faveurs et des grâces. « Elle se mêlait, dit le comte de Saint-Priest[2], de toutes les nominations. Les places de colonel, les ambassades, les charges de Cour et les emplois de finance, tout était de son ressort. Sa facilité déplacée à s’intéresser à ceux qui lui demandaient sa protection venait assurément d’un fond naturel d’obligeance, quoique peut-être mélangé du plaisir d’étaler son pouvoir… On imagine aisément le petit nombre de gens reconnaissans parmi ceux qui étaient promus, le nombre plus grand des ingrats et l’infinité des mécontens. Rien ne lui a valu plus de haines, et l’on ne peut nier ses torts à cet égard. » De ces « torts » elle

  1. Le 22 octobre 1781, Marie-Antoinette mettait au monde un prince, qui reçut le nom de Louis-Joseph et fut dauphin de France, jusqu’à sa mort prématurée, survenue dans sa huitième année, le 4 juin 1789.
  2. Mémoires inédits du comte. Guignard de Saint-Priest.