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intérêts que nous devions protéger et des obligations auxquelles nous ne pouvions pas nous soustraire. Nos colons devenaient tous les jours plus nombreux dans l’Empire chérifien et y souffraient davantage de l’anarchie grandissante. Chaque jour des incidens nouveaux sollicitaient de nous des solutions définitives. Enfin, en dépit du désordre qui régnait au Maroc ou peut-être à cause de ce désordre même, d’autres que nous commençaient à jeter les yeux sur lui et, pour les empêcher d’y aller, nous étions amenés à y intervenir nous-mêmes. Les votes successifs des Chambres et l’adhésion du sentiment public ont, depuis dix ans, consacré ces motifs.

Pour l’Espagne, les raisons matérielles étaient moins impérieuses, mais non point les raisons morales. Ce généreux pays, après la cruelle épreuve de 1898, cherchait des réparations à sa fierté, et la rive africaine allongée sous ses yeux les lui représentait prochaines. Isabelle la Catholique n’avait pas vainement inscrit dans son testament le but de la mission historique qu’elle léguait à ses sujets : poursuivre les Maures jusqu’au delà du détroit. Cette poursuite commencée, il y a quatre siècles, continuée avec des fortunes diverses, mais avec gloire, avait laissé des jalons, les présides, nids d’hirondelles accrochés aux rochers du Rif, possessions médiocres et pauvres, mais qu’auréolait l’espérance. Si le Maroc demeurait ce qu’il était, épave de féodalité historique à deux pas de l’Europe moderne, empire inasservi de sultans impuissans, l’Espagne pouvait se contenter de cet espoir. Que d’autres au contraire vinssent mettre de l’ordre dans ce désordre, c’était pour elle l’obligation de passer aux actes. Tout en souhaitant que le Maroc fût sien, l’Espagne se résignait à ne pas le prendre, s’il n’était à personne en Europe. S’il semblait qu’il dût changer de maître, elle devait en réclamer sa part : sentiment trop naturel pour que la France pût l’ignorer, ou, pis encore, le heurter.

L’action marocaine des deux pays devait donc, le jour où elle se préciserait, avoir l’entente pour base. En donnant au problème marocain une place de premier rang dans le plan de notre diplomatie, M. Delcassé le comprit ainsi, et, muni du consentement italien, c’est avec l’Espagne qu’il voulut traiter d’abord. A la même époque, le chef éminent des conservateurs espagnols, M. Francesco Silvela, disait : « La situation actuelle du Maroc fermé au commerce, à la civilisation, à toute