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mesure à voir la jeune fille. Elle baisa ses longues mains maigriotes.

— Ah ! que vous êtes bons tous ! Ah ! que c’est délicieux de posséder de tels amis ! On me plaint, mais je suis heureuse, trop heureuse.

Marcelle nonchalamment s’assit près du lit et, sans écouter ce flux de paroles, observait cette femme mûre dont l’intimité lui dévoilait les derniers charmes. Elle examinait en leur nudité ces bras opulens, cette gorge pleine, et, dans les cheveux embroussaillés, ce visage animé où luisaient de grands yeux bruns, pleins de tendresse. Elle se demandait pourquoi cette Blanche Arnaud avait ainsi vieilli sans amour, et son égoïsme ne put retenir un cri :

— Oh ! c’est triste d’être seule. Moi, j’ai si peur de rester seule aussi !

— Toi, ma chérie, tu te marieras aisément, ta condition est bien différente de la mienne ; tu as tes parens, des relations, tu es fraîche et charmante.

Elle soupira, puis reprit :

— Toutes les femmes n’ont pas le même sort.

Et elle était si émue que son attendrissement confinait à l’exaltation. Elle glissa bien vite aux épanchemens.

— Ma petite Marcelle, tu n’es plus une enfant et je puis te dire à présent bien des choses. Marcelle, j’aurais pu n’être pas seule…

Les paupières s’abaissèrent un instant ; sa poitrine se gonfla, et, après un petit silence, elle ajouta :

— On m’a aimée, Marcelle… on m’a aimée beaucoup. Marcelle la regardait de ses yeux étonnés.

— Tu sais, ma petite, je n’ai jamais été bien jolie, mais j’ai eu vingt ans, et j’avais de la ligne, et mes premiers portraits, j’y mettais déjà toute mon âme. Je puis bien l’avouer, j’en ai fait de beaux. Et c’est ce jeune talent qui avait fait impression sur un grand peintre. Je ne te le nommerai pas, petite, car, un jour ou l’autre, tu le rencontreras aussi, et c’est un secret que cet amour qu’il eut pour moi.

— Vous ne l’aimiez pas, vous ? demanda Marcelle.

— Moi !… oh ! ma chérie !

Deux grosses larmes sortirent des yeux de la malade et roulèrent sur l’oreiller ; elle reprit :