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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/650

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à les venger. Une intervention militaire s’imposait à elle. Mais Casablanca étant précisément l’un des deux ports marocains où les instructeurs de la police devaient être par moitié français et espagnols sous le commandement d’un officier espagnol, c’eut été sortir du cadre des accords que de ne point convier l’Espagne à participer à cette intervention. Cette offre de participation aussitôt formulée ne fut pas assez appréciée à Madrid. Casablanca, étant en dehors de la zone réservée à l’Espagne, n’intéressait celle-ci que médiocrement. Elle préférait garder les mains libres pour agir sur un autre point choisi d’après ses intérêts. Elle préférait aussi échapper aux complications diplomatiques qui pouvaient résulter de l’opération française en Chaouïa.

Bref, pour la première fois, des préoccupations particulières se mettaient en travers de l’action solidaire. Ce n’est qu’après de longues insistances, que M. Pichon obtint l’envoi à Casablanca d’une canonnière espagnole avec un faible détachement et, dès son arrivée, le commandant de ce détachement ne déguisa pas des sentimens peu bienveillans. Dès ce moment, les raisons pratiques de l’union avec la France s’étaient-elles obscurcies dans l’esprit de l’Espagne ? Des vues plus personnelles s’y étaient-elles éveillées ? S’inquiétait-elle de nos succès militaires ? On peut le penser. L’intimité qui s’établit quelque temps après, à Rabat, entre le Sultan et les représentans de la France, M. Regnault, le général Lyautey et l’amiral Philibert, ne fut pas non plus sans la préoccuper. Elle craignit une mainmise française sur le souverain et sur son maghzen. La confiance baissait, et, sans confiance, que pouvait être la collaboration ? Des négligences, des maladresses ont-elles été commises par nous ? Ce n’est pas le moment de le rechercher. Quoi qu’il en soit, dès l’année suivante, en 1908, les négociations relatives à la reconnaissance de Moulaï Hafid révélèrent plus nettement encore les suspicions qui s’élevaient entre les signataires des accords de 1904. L’Espagne, de plus en plus, s’éloignait de la France et se ramassait sur elle-même. Il eût fallu la ramener, lui démontrer la valeur persistante des accords antérieurs, resserrer les liens relâchés. Par un déplorable enchaînement, c’est le contraire qui se produisit. L’entente franco-espagnole soutirait de la froideur de l’Espagne. À cette froideur, la France répondit par un silence, qui ne pouvait qu’aggraver le mal.