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— Ah ! Marcelle ! dit Nicolas en se détournant, que va-t-il arriver de nous ?

Elle s’abattit dans ses bras en sanglotant, et ils s’enlacèrent, en pleurant ensemble. Ce fut Houchemagne qui se reprit le premier et la repoussa.

— Nous ne pouvons pas nous aimer, Marcelle, ce serait abominable ; je ne suis pas libre, moi ; pensez à Jeanne. N’attendons pas que ce sentiment mauvais nous envahisse ; il est temps encore de réagir.

— Réagir ! fit-elle, en se redressant. Réagir ! mais votre amour, c’est ma vie ! Cesser de vous aimer, Nicolas ? Mais vous ne voyez donc pas ce qui se passe en moi ? Je ne suis plus rien qu’une chose qui vous aime.

Il tomba à genoux devant elle en se bouchant les yeux et les oreilles.

— Ayez pitié de moi, taisez-vous, ne voyez-vous pas que moi aussi, moi aussi… Et je ne peux pas, pourtant, je ne veux pas !

Marcelle prononça :

— C’est pour cela que je vais mourir.

Alors, il la reprit dans ses bras, saisi d’une inquiétude folle. Non, ce n’était pas vrai, n’est-ce pas ; elle ne se tuerait pas ? Mais, plus il la regardait, plus il comprenait que cette fille taciturne et volontaire pouvait accomplir tout ce qu’elle aurait décidé. Elle disail :

— Croyez-vous que j’aurais peur ? La mort, je m’en moque. Vivre sans votre amour ! ah ! non, non. Bien d’autres qui ne me valaient pas ont eu la minute de courage nécessaire, je l’aurai, allez, Nicolas.

Et il vit que c’était sûr, qu’elle ferait comme elle aurait dit, qu’en le quittant, elle courrait à la Seine. Alors, des sentimens désordonnés le bouleversèrent : une pitié violente, une admiration pour cette frêle enfant virile, et un désir de disputer à la mort ce corps si mystérieux de vierge. Il la prit au poignet :

— Non, reste, je ne veux pas que tu meures ; je t’aimerai. J’aime Jeanne, je t’aimerai aussi. Ce sera ignoble, mais tn vivras.

Elle redevint farouche :

— Je veux être aimée seule. Cousine Jeanne ne sait pas t’aimer ; je serai ton amante, ta seule amante. Tu ne peux pas