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ENTRE LES DEUX MONDES[1]


PREMIÈRE PARTIE



I

Un à un, les petits vapeurs qui, depuis deux heures, bourdonnaient autour du Cordova, s’éloignèrent, et le Cordova resta quelque temps seul, arrêté sur ses ancres, dans cet admirable après-midi de printemps, au milieu de la baie de Rio de Janeiro. Monté sur le pont de commandement, où le chevalier Federico Mombello, capitaine du paquebot, nous avait invités ma femme et moi, à venir donner le dernier adieu à la ville, je regardais une fois encore, en attendant que le navire se mît en route, la chaîne azurée et lumineuse des monts Tinguà, de la Estrella et des Orgãos, qui ferment la baie au Nord ; l’abrupte couronne de pointes, d’aiguilles, d’obélisques, de crêtes, de dents qui la surmontent ; la radieuse guirlande des grands nuages blancs et gonflés qui, ce jour-là, étaient accrochés à ses flancs. Je regardais, et je songeais que, d’ici à quelques minutes, se fermerait pour toujours, dans le livre de ma vie, un de ces épisodes qui ne se répètent plus. Adieu pour toujours, Amérique deux fois visitée dans ses deux hémisphères : monde immense où j’étais entré avec une curiosité si ardente, que j’avais parcouru avec tant de fougue, où j’avais vu et entrevu tant de choses ignorées, où j’avais cueilli les prémices d’un triomphe dont nul autre n’avait joui avant moi, où j’avais

  1. Copyright by G. Ferrero, 1912.