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grâces. « Bourboulon restait en faveur et se montrait partout, même au souper du Roi[1]. »


C’en était trop pour l’orgueil de Necker, disons même pour sa dignité. Il lui parut que son autorité serait désormais compromise, s’il n’obtenait une preuve éclatante et publique de la confiance du Roi, qui confondit les faiseurs de cabales et fermât définitivement la bouche à ses contradicteurs[2]. Une idée lui vint à l’esprit, qu’il est permis de trouver naturelle : il demanda son admission dans ce Conseil d’Etat, — que l’on nommait également « le Conseil d’en haut, » — dont il était jusqu’à ce jour exclu. Plus que jamais, à l’heure présente, il estimait nuisible au service de l’Etat, et blessant pour lui-même, de n’avoir son entrée que dans les « Comités » où se traitaient les questions financières, sans prendre part aux réunions où se réglait l’emploi des sommes qu’il était appelé à fournir. Si l’on regarde au fond des choses, la faveur réclamée était plus honorifique que réelle, car, en fait, toutes les graves affaires se traitaient dans les Comités, et le Conseil d’Etat n’était guère occupé qu’à sanctionner les résolutions prises. « Ce n’est, reconnaîtra plus tard Necker[3], qu’une conférence en présence du Roi, où les voix ne sont pas comptées et où Sa Majesté seule décide. » Mais le directeur général n’ignorait pas que l’obstruction à ses principaux projets de réformes venait presque toujours de ce Conseil dont il était absent, que Maurepas, notamment, ne cessait pas d’y critiquer et d’y persifler ses idées. C’était assez, sans compter l’opportunité, pour motiver le vœu du directeur général des finances.

La grande difficulté venait de la religion de Necker. Admettre un protestant dans le conseil intime, le conseil supérieur du Roi, en faire un « ministre d’Etat, » pouvait alors passer pour une dangereuse audace. Ce fut, du moins, la réponse de Maurepas, lorsque Necker vint, pour la première fois, l’entretenir de l’affaire et lui demander son appui. Le Mentor l’écouta,

  1. Mémoires de Marmontel.
  2. Pour le récit de l’épisode qui suit, j’ai consulté le Journal de l’abbé de Véri, le Journal de Hardy, les dépêches de Mercy-Argenteau publiées par Flammermont, la Notice d’Auguste de Staël sur M. Necker, les Mémoires de Marmontel, de Soulavie, etc., etc.
  3. Note écrite pur Necker après sa retraite et reproduite par Soulavie dans ses Mémoires sur le règne de Louis XVI.