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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/831

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faire davantage ? Si elle avait, pour conserver Necker, montré la même ténacité, fait entendre les mêmes prières, usé des mêmes moyens, que jadis pour chasser Turgot, aurait-elle pu obtenir gain de cause ? Mercy semble le croire, et il se peut qu’il ait raison. « La Reine, confie-t-il à Kaunitz[1], continue de reconnaître ouvertement les mérites de ce ministre ; mais soit par défaut d’expérience, soit par timidité, elle n’a pas réussi à dissiper ou à détourner l’orage, quelque agréable qu’il lui eut été de pouvoir maintenir plus longtemps en place un homme devenu si utile à la France. » La vérité, — Mercy ne le savait que trop, — c’est qu’il manquait à Marie-Antoinette la faculté de mettre une persévérance énergique au service de ses volontés ; elle n’en mettait qu’au service de ses fantaisies.

Au reste il était bien tard pour agir ; Louis XVI avait pris son parti. Le mémoire de Vergennes, les objurgations de ses frères dans ces dernières journées, tout le complot savamment préparé depuis de longues semaines, avaient eu finalement raison des objections dictées par son bon sens et son amour du bien public. « Depuis soixante-dix ans que j’habite la Cour, disait à ce propos le maréchal de Richelieu, je n’ai jamais remarqué autant d’intrigues, de cabales, de noirceurs, que durant les huit derniers jours du voyage de Marly. » Maurepas porta le coup suprême en venant annoncer au Roi son irrévocable intention, si Necker recevait son entrée au Conseil, de se retirer sur-le-champ, suivi par tout le Cabinet, à l’exception de Castries et de Ségur[2]. Enfin, il semble aussi, malgré la mesquinerie d’une pareille considération, que le ton résolu et les termes catégoriques du billet de Necker aient fâcheusement impressionné la susceptibilité du Roi. Il jugea ce billet, dit-on, « peu respectueux » et s’en montra profondément « piqué. » Deux ans après, dans une lettre adressée au maréchal de Castries, qui le poussait à reprendre Necker, il écrivait avec aigreur : « Quant à ce qui regarde M. Necker, je vous dirai franchement que, d’après la manière dont je l’ai traité et celle dont il m’a quitté, je ne peux plus songer à l’employer nulle part[3]. »

Quoi qu’il en soit, à peine eut-il reçu, par l’entremise de Marie-Antoinette, la lettre de Necker, qu’il fit passer cette note

  1. Lettre du 31 mai 1781. — Correspondance publiée par Flammermont.
  2. Journal de Véri. — Mémoires de Soulavie, t. IV.
  3. Mémoires de Soulavie.