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Ou, avec cette prescience qu’on a parfois à l’heure suprême, entrevit-il alors, tout proche et comme déjà béant, l’abîme où allait s’engloutir le régime dont il fut l’incarnation suprême ? Il est permis de le penser. Maurepas n’était pas incapable d’un éclair de divination, tardive au reste et inutile ; car il eut toujours le cerveau plus vaste que le cœur.

Le 21 novembre au soir, quelques minutes après onze heures, il expirait, parmi les sanglots de sa femme, auxquels, de loin, faisaient écho les larmes de Louis XVI. Quand le duc d’Estissac, fort intime ami du défunt, vint annoncer au Roi que tout était fini : « Vous faites une bien grande perte, lui dit le prince avec une émotion profonde, mais j’en fais, moi, une bien plus grande ! » Le surlendemain, le corps fut présenté en l’église Notre-Dame, paroisse du château de Versailles, puis transporté, sans pompe aucune, à Saint-Germain-l’Auxerrois, à Paris, où il fut inhumé dans le caveau de la famille, « sous la chapelle sise à côté de l’ancien autel de paroisse[1]. » Une oraison funèbre fut prononcée, un peu plus tard, en l’église Saint-Sulpice, Tous les ministres et toute la Cour y assistèrent, sur l’ordre exprès du Roi.


Dans les rangs du public, la disparition de Maurepas fut accueillie, par la majorité des gens, avec indifférence, par certains avec soulagement. Comme Marie-Antoinette avait, un mois plus tôt, donné un héritier au trône[2], on fît courir à Paris ce distique :


O France, applaudis-toi, triomphe de ton sort :
Un dauphin vient de naître et Maurepas est mort !


C’est que les événemens récens avaient achevé de détacher de lui ceux qui, longtemps, avaient fait fond sur ses capacités, sur son expérience politique. Pourtant, comme beaucoup d’hommes, Maurepas valait mieux que ses actes. On ne peut nier sa probité, son désintéressement, l’agrément de son caractère et la souplesse de son fertile esprit. Il n’avait point de méchanceté réelle ; il était même, à l’occasion, capable d’attachement et de reconnaissance. Il aima sincèrement Louis XVI et il lui fut personnellement dévoué. Il contribua, pendant les premiers

  1. Journal de Hardy, 23 novembre 1781.
  2. Le 22 octobre 1781.