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le poète, dans la prison de Saint-Lazare. Vous vous rappelez :


L’illusion féconde habite dans mon sein…
Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux ;
Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux
Ramène presque de la joie.
Mon beau voyage encore est si loin de sa fin !…
Je ne suis qu’au printemps, je veux voir la moisson…
O Mort ! tu peux attendre : éloigne, éloigne-toi…
Je ne veux pas mourir encore.


Mais maintenant que la mort est toute proche, et que l’illusion s’est envolée, a-t-elle pris enfin de la vie une vue plus juste et plus haute, et donne-t-elle tout son vrai sens à cette parole qu’elle prête à son héros, que « se soumettre, telle est la condition humaine ? » Je ne sais ; entre ces différentes hypothèses je n’ose choisir ; je souhaiterais seulement, pour l’honneur de la Jeune Captive, que la dernière fût la véritable.


Il y a dans la Correspondance de Taine une admirable lettre de direction littéraire, évidemment destinée à une femme, qu’il voudrait voir remplir sa vie, utiliser ses rares facultés, en se faisant écrivain, et en composant des romans modernes. On aurait pu donner des conseils de ce genre à Aimée de Coigny. Elle avait, cela n’est pas douteux, des dons de premier ordre, qui, bien employés, auraient pu faire merveille. Mais il aurait fallu la dissuader d’écrire un roman romanesque : le roman romanesque est un genre légitime, mais qui devrait n’être traité que par des poètes. Or l’auteur d’Alvare n’est point poète ; elle a bien l’intelligence trop lucide, trop réaliste peut-être pour cela ; elle a fort peu d’imagination, et c’est pourquoi elle recourt si souvent à l’imagination comme au langage d’autrui. Le roman d’observation psychologique comme on l’entend aujourd’hui, voilà quelle eût été sa vraie voie. Si, elle avait voulu raconter une <c histoire vraie, » — la sienne peut-être, — au lieu d’une œuvre intéressante assurément, mais inégale, et avec bien des parties surannées et mortes, une œuvre de transition, pour tout dire, elle aurait fort bien pu écrire une de ces œuvres rares, humaines et vivantes qui eussent illustré le nom de la Jeune Captive, — presque autant que les vers du grand poète qui l’a chantée.


VICTOR GIRAUD.