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d’être prisonniers et d’avoir tiré leur épingle du jeu. Nos soldats vont et viennent parmi eux ; ils se louent les uns des autres, se soignent et deviennent camarades après la bataille. Il serait lamentable que les Prussiens exécutant leur projet barbare au sujet des bourgeois d’Ablis, on fût obligé de fusiller ces malheureux. Les Prussiens ne veulent pas admettre la guerre de guérillas et je crois qu’ils ne reculeront devant aucune violence pour y mettre obstacle.

On annonce un succès sérieux du général Ducrot sous le Mont-Valérien.

Je reviens aux élections, voici ce qu’on m’assure : en province, il n’y avait guère à craindre que la réaction ; mais à Paris les députés nommés se seraient constitués en gouvernement provisoire, et, comme le seul titre du gouvernement actuel est le titre de députation de Paris, ils l’auraient renversé. L’ordre se maintient, mais grâce à la grande énergie de Trochu qui n’hésite pas à prendre des mesures de rigueur. Rien n’est plus difficile que d’apprécier ces difficultés. Il est vraisemblable que Gambetta n’est pas venu sans raison, et, pour que des gens comme lui aient hésité, il faut que le danger soit réel. Mais quelles que soient les raisons, je regrette la mesure.

Et nous voilà retombés dans l’inconnu et le vague. Ce seront la liberté et la République qui paieront les frais. Le malheur de la République est de naître toujours après une crise ; le peuple lui attribue tous les malheurs amassés par le régime déchu et c’est ainsi que nous retombons indéfiniment de Charybde en Scylla.


Tours, 14 septembre 1870.

A sa mère.

J’ai reçu l’ordre de rester ici. Il y a une petite délégation près de M. Crémieux et j’en fais partie. L’ami avec lequel je suis (Philippe Delaroche-Vernet) est bien aimable, bien sûr : nous vivons absolument en commun et de la manière la plus aisée. Notre chef (M. de Chaudordy) est un homme fort aimable et fort distingué, qui vit avec nous et nous traite en collègues.

Le ciel était si sombre qu’il ne paraissait pas pouvoir noircir encore, et cependant il semble que chaque jour augmente le poids qui pèse sur nos cœurs. Je plains de toute mon âme les