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encore ? Y a-t-il beaucoup de misère ? Et l’hôtel de Bordeaux, qu’y a-t-on installé ? Si vous saviez à quel point tout cela m’intéresse, vous m’écririez des volumes. Songe donc que ces événemens, c’est un abîme dans la vie ; il me semble que j’ai quitté Honfleur depuis des années et que j’en suis à mille lieues. J’ai vu M. B… et j’ai passé avec lui de très bons momens : nous avons été ensemble à l’hospice ; je crois que je me suis fait une amie avec la supérieure, Mme de Courteil ; c’est une femme d’élite et tout à fait séduisante ; je l’ai vue à l’œuvre et fort admirée de courir, toussant, sous la pluie, au milieu de ces soldats. Je lui ai promis d’envoyer de ses nouvelles aux religieuses des provinces envahies et de lui en renvoyer.

M. B… m’a dit sur le Havre des choses qui m’ont fait plaisir. Tous les gens d’ordre y sont décidés à voter pour la République. J’ai reçu de Rouen une très longue et bonne lettre de J…, très bien pensée, où il m’envoie les manifestes du comité dont il faisait partie et qui se prononçait très carrément dans le même sens. Tu sais quel est, depuis longtemps, mon sentiment sur ce point. Il se fortifie. Sans doute il y a dans le parti républicain une foule de fous, d’intrigans, d’ambitieux et de mauvais drôles ; sans doute beaucoup de perturbateurs et d’esprits creux se cachent sous ce drapeau, mais on en voit autant dans tous les partis. La tête et le cœur de la République sont excellons ; il faut former le corps et c’est notre allaire. Il dépend de nous de faire la République libérale et modérée. Je ne comprendrais pas qu’on n’en fit point l’essai, et que, si on le fait, ce ne fût pas avec le ferme désir de réussir. Je ne vois pas, pour moi, d’autre ressource pour l’avenir, et quelles que soient les difficultés de l’entreprise, les inconvéniens des autres partis me paraissent encore plus graves.


Tours. 3 décembre.

A sa mère.

Vos lettres sont découragées et cela se comprend. Les nouvelles de Paris et de l’armée de la Loire ont dû vous remettre. Il ne faut pas en exagérer la portée, de même qu’il ne faudrait pas se désespérer de nouveau à la nouvelle d’échecs partiels. La vérité est que nous avons en campagne deux belles armées, très bien munies, très bien conduites, très bien disciplinées et