Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 12.djvu/925

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rarement les corps d’élite. Le pays tient à son Académie, parce qu’il tient à la tradition littéraire qu’elle représente. Il lui sait gré du plaisir qu’elle a fait, en les accueillant, à des poètes, à des romanciers, à des auteurs dramatiques dont il aime les œuvres. Elle travaille au Dictionnaire de l’usage, et les Français sont amoureux de leur langue et sévères sur le bon usage. L’autre semaine, quand l’Académie accorda le droit de cité à un mot qui jusque-là avait été consigné à la porte, ce fut un événement, — je ne dis pas : un scandale. La nouvelle fit le tour de la presse. Dans l’univers entier, nul n’ignore plus que, le 5 décembre, sur les quatre heures de l’après-midi, le mot « épatant » a fait son entrée dans le monde et dans le meilleur, et qu’il exprime, entre l’étonnement et l’admiration, une nuance qui précisément consiste dans « l’étonnement admiratif. » Le jour où le roman, le théâtre, la chanson, la caricature ne plaisanteraient plus ses candidatures, ses élections, ses réceptions et son Dictionnaire, l’Académie s’attristerait et concevrait de justes inquiétudes. Ce jour n’est pas venu, puisque voici, pour continuer la tradition, l’Habit vert dont le succès prouve que ces plaisanteries n’ont pas cessé de plaire.

Le genre de la « comédie parisienne, » renouvelé, sinon créé par Meilhac et Halévy, repris par les Lavedan, les Donnay, les Capus, et qui a déjà valu tant de succès à MM. R. de Flers et A. de Caillavet, est un genre délicat et subtil où l’art consiste surtout à doser dans des proportions savantes la comédie et la farce. Cette fois, les auteurs ont eu la main moins légère que d’habitude. Ils ont poussé à la farce. La duchesse de Maulévrier qui, nous étant venue d’Amérique, baragouine le français et dit « pistache » au lieu de pastiche et « prostitution » au lieu de prostration, le compositeur Parmeline qui, pour faire mieux connaître les gens dont il parle, les décrit au piano, ce vieux cocu de Maulévrier et ce jeune fantoche de Latour-Latour, et d’ailleurs tous les autres, sont des personnages de vaudeville. Nous sommes au bord de la mer, à Trouville, je crois, chez le duc de Maulévrier, qui représente, à l’Académie, ce qu’on appelait jadis : le parti des ducs. Pinchet, le légendaire Pinchet, chef du secrétariat de l’Institut, est venu donner des nouvelles de la maison qui est au bout du pont des Arts. Il y a une vacance ; et les candidats ne manquent pas ; mais ce qu’on voudrait, c’est un bon candidat. Le bon candidat est celui qui n’a jamais rien écrit. On cherche un écrivain qui n’ait jamais rien écrit, pour en faire un académicien. Cela doit se trouver… Une atmosphère de tristesse et même de deuil règne chez le duc de Maulévrier. Car l’amant de la duchesse, — disons mieux, le dernier en date des amans