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lui reprocher le soin, d’ailleurs bien inutile, qu’elle a pris pour nous cacher jusqu’alors à quel point « son cœur s’était trouvé engagé dans cette affaire. » Mais avec cela nous ne pouvons nous empêcher de nous demander si le fâcheux dénouement de son aventure n’a pas eu, en partie, pour cause une erreur commise par elle dans cet « observatoire » intérieur dont elle était si fière ! Qui sait si notre jeune psychologue ne s’est pas trompée en se figurant, dès le premier jour, que la « résignation » et la « gaîté » du chambellan étaient « seulement apparentes, » et puis en partant désormais de cette hypothèse pour n’entretenir son goutteux ami que de « graves sujets » les moins « appropriés » du monde à ses goûts véritables ? Erreur dont les suites désastreuses se révèlent à nous, me semble-t-il, jusque dans cette attitude du colonel Fairly à Cheltenham puis à Richmond que la jeune fille mettait ingénument au compte d’une trop grande « indifférence pour les bruits d’alentour. » Involontairement refroidi par la « gravité » et la tristesse perpétuelles des conversations d’une amie qui s’obstinait à voir en lui l’héroïque martyr de regrets imaginaires, à son tour il aura négligé de découvrir, chez elle, et l’origine toute charitable de ces conversations et l’ardeur passionnée du sentiment qui les lui dictait.


Mais il faut encore que je signale, au moins en quelques lignes, l’extrême intérêt historique des documens nouveaux que nous offre le volume de miss Constance Hill. Il en est d’eux, sur bien des points, comme de ce texte complet des Mémoires de Saint-Simon qui, plus d’un demi-siècle après la publication d’une série de fragmens de l’immortel pamphlet, est venu tout ensemble éclairer ces fragmens, les compléter, et parfois même les revêtir d’une signification toute différente, en nous faisant connaître leurs « dessous » cachés. Il ne sera plus possible désormais à l’historien de tirer parti des renseignemens apportés par le Journal de Fanny Burney sans être tenu d’en confronter la version de 1812 avec les nombreux passages supplémentaires qui remplissent le livre de miss Constance Hill ; et il n’y a pas jusqu’aux pages les plus fameuses du Journal qui ne reçoivent, pour ainsi dire, de leur « contexte » opportunément exhumé, un précieux surcroit de relief et de vie. Voici par exemple, sous sa forme authentique et définitive, l’un des plus populaires entre ces passages : la peinture que nous a faite la jeune romancière de sa rencontre avec le roi George III, le 2 février 1789, en un temps où les bruits les plus effrayans couraient encore sur les crises de fureur de l’auguste malade :