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ce monde de glace, et planté le drapeau norvégien au Pôle Sud[1].

Plus encore qu’un remarquable exploit de force physique accompli par les hommes de la petite escouade norvégienne, la Conquête du Pôle austral, écrit son compatriote l’explorateur Fridtjof Nansen, dans l’Introduction du Journal de l’expédition, traduit par M. Charles Rabot, est le triomphe de l’ingéniosité et de la prévoyance de leur chef. Elle est due à l’habile préparation du voyage, à l’emploi des moyens les plus simples ; elle a dépendu de l’état d’une meute de choix. Du jour où, grâce à la vigilance d’Amundsen, ses cent chiens esquimaux, après avoir voyagé sur mer cinq mois et traversé la zone tropicale, débarquent le 11 janvier 1911, en bonne condition, à la Grande Barrière, la première manche était gagnée. L’emploi d’attelages de chiens emprunté aux races primitives, la pratique du ski et du traîneau, et les rudes navigations dans l’Océan Glacial lui ont permis de vaincre là où tant d’autres avaient échoué. Dès le 21 octobre 1911, à travers les glaces et les neiges, sa petite escouade franchissait sur ses skis des régions jusqu’alors inconnues : — il n’avait pas voulu suivre le glacier de Beardmore, la route trouvée par Shackleton, ni celle des expéditions anglaises, — et parvenait au Pôle le 11 décembre.

Dans sa relation : Au Pôle Sud, Roald Amundsen s’est surtout attaché à nous conter les péripéties de sa lutte héroïque contre le froid, et son récit, daté d’Uranienborg, 15 août 1912, nous fait suivre jour par jour la petite caravane à travers un monde de plateaux et de monts couverts de glaces millénaires qui donnent la vision des époques glaciaires abolies. Et, ce qu’il y a de plus admirable, c’est qu’en le dédiant : A ses vaillans compagnons d’armes dans la conquête du Pôle Sud, il ajoute : « Notre œuvre dans l’Antarctique est close ; maintenant songeons au véritable but de l’expédition. » Et, l’année prochaine, par le détroit de Behring, il se dirigera vers les banquises, pour se laisser entraîner par la lente dérivation des eaux à travers le Bassin arctique, pendant cinq ans au moins. Paris, qui s’apprête aie recevoir, la Sorbonne, la Société de Géographie, où les hardis navigateurs et les vaillans explorateurs viennent » consacrer leur triomphe, souhaiteront à ce descendant des Vikings d’accomplir cette entreprise surhumaine. Fram, « En avant, » le nom de son navire n’est-il pas sa devise, comme elle est aussi celle des nôtres sur les terres inconnues, sur la mer et dans les cieux ?


J. BERTRAND.

  1. Hachette.