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Bethmann-Hollweg s’est-il tu pendant la période de grande exaltation de U Serbie ? et pourquoi parle-t-il maintenant ? On ne s’en est pas tenu là : la Triple-Alliance vient d’être renouvelée et on a tenu à le faire savoir urbi et orbi en grand apparat. Le fait était si prévu, si bien escompté d’avance, que l’impression en a été nulle : qu’importe qu’il ait eu lieu quelques mois plus tôt ou plus tard ? Mais il y a eu dans le choix du moment une intention manifeste et cette intention est d’intimider : d’intimider, peut-être, afin de n’être pas obligé de faire autre chose. Si l’Allemagne agite si fort son grand sabre, c’est qu’elle serait sans doute fâchée d’avoir à s’en servir. Si elle voulait la guerre, elle en ferait par avance moins d’étalage. En 1870, elle nous a tendu silencieusement un piège et ne s’est découverte qu’au dernier moment. Mais ses procédés, heureusement, ne sont qu’à elle ; laissons-lui-en le monopole ; si d’autres en usaient à son exemple, la guerre, dont nous restons convaincu que personne ne veut, éclaterait fatalement. Un point toutefois est à retenir dans le discours du chancelier de l’Empire, c’est celui où il a établi une telle fusion ou confusion d’intérêts entre l’Allemagne et l’Autriche, qu’à l’en croire, si cette dernière était attaquée par la Russie, l’Allemagne elle-même serait mise en cause et devrait combattre pour sa défense personnelle. Il est difficile de dire plus crûment que l’Autriche est l’avant-garde du germanisme en Orient et que la lutte future sera entre le germanisme et le slavisme. Si elle éclate un jour, en effet, ce sera une lutte terrible et nul ne peut dire jusqu’où elle s’étendra : éloignons-en autant que possible le-spectre menaçant.

Pour cela, le sang-froid de tous est nécessaire et ce n’est pas à noua qu’on reprochera d’en manquer. Le langage tenu par M. Poincaré devant la Commission des Affaires étrangères de la Chambre a été calme, digne, ferme, sérieusement pacifique, sans qu’on ait pu y apercevoir une menace, même éventuelle, contre qui que ce soit. M. Poincaré s’est contenté d’énumérer les grands intérêts que la France a en Orient. Ils ne sont pas compromis, certes, et nous n’avons pas pour l’instant à les défendre ; mais il était bon que le pays les connût et qu’il en prît de plus en plus conscience, car le meilleur moyen de se préparer à accomplir tous ses devoirs est de ne rien ignorer de ses intérêts et de ses droits. Le rôle de la France en Orient est d’ailleurs un rôle de pacification et de conciliation. Sa sympathie très vive, très profonde, pour les nations balkaniques, slaves ou grecques, la porte à désirer le maintien de leur alliance, qui est la condition de leur force. La France connaît d’ailleurs les intérêts des grandes puissances, de