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méconnaître qu’il existe des tendances dissolvantes. L’une des plus dangereuses provient de la coexistence des deux empires britanniques, comme on l’a dit : l’Empire blanc composé de la mère patrie et des colonies à self-government, avec leurs 60 millions d’habitans blancs, et l’Empire « de couleur » comprenant l’Inde et les dépendances sujettes, les colonies de la couronne d’Asie, d’Afrique, des Indes orientales et d’Océanie, avec leurs 350 millions d’Hindous, de Jaunes et de Noirs.

En énumérant les intérêts communs de la métropole et des Dominions, M. Asquith mentionnait, à l’ouverture de la conférence, « leur tutelle commune » (common trusteeship), — des dépendances de la couronne qui ne sont pas encore parvenues et ne parviendront peut-être jamais au self-government. Seulement, si la métropole est consciente de ses devoirs d’éducatrice envers ses sujets de couleur, si elle se trouve d’ailleurs obligée d’accorder aux Hindous des droits de plus en plus considérables, les colonies voient le problème sous un tout autre angle, parce que leur situation est différente. L’une d’entre elles, l’Afrique du Sud, ne contient qu’une minorité de blancs en face d’une majorité de noirs quatre fois plus nombreuse ; c’est peut-être celle où la question est le mieux résolue, — parce qu’on ne pouvait l’esquiver, — par l’octroi de droits politiques à une fraction des noirs. Mais l’Australie, la Nouvelle-Zélande, même l’Ouest du Canada sont menacés d’une invasion de Jaunes ou d’Hindous. Ils ne veulent à aucun prix que la question de couleur se pose chez eux, et, pour cela, ils la résolvent par la question préalable en interdisant aux gens de couleur de pénétrer sur leurs territoires, en mettant à leur entrée des conditions pratiquement prohibitives. Les discussions de la conférence impériale ont montré jusqu’à quel point ils poussent l’exclusivisme. Les délégués de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande prétendaient interdire désormais, aux navires britanniques fréquentant leurs ports, l’emploi des matelots hindous, ou « lascars. » Ce n’est pas, ont-ils dit, un préjugé de couleur ; c’est une question économique : ces gens-là vivant de rien font baisser les salaires. Quel qu’en soit le motif, le résultat est le même, c’est l’exclusion des hommes de couleur. Pourra-t-on toujours la maintenir, même à l’endroit des sujets britanniques, quand ceux-ci, les Hindous surtout, approcheront de plus en plus du self-government ?