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facile : Grues et le bord de la mer. Puisqu’il fonçait sur l’obstacle, il allait falloir en effet lui faire obstacle, et pour cela tirer l’épée, ce qui ne laissait pas que d’être hasardeux et d’inquiéter grandement la ligue. Sans doute, les Français étaient peu nombreux : 9 000 tout au plus et peut-être point tous en état de combattre, ayant égrené leur armée, sur leur passage, dans toutes les places fortes où ils laissaient garnison. C’était peu de chose auprès des trente et quelques mille hommes que comptait maintenant l’armée de la ligue et des renforts qu’elle recevait chaque jour. De plus, « les Barbares » étaient incommodés par l’énorme bagage et la population de non-combattans, conducteurs de mules, «  valets de sommiers,  » vivandiers, ribauds et ribaudes qu’ils traînaient après eux. Mais c’étaient de rudes troupes. Leurs hommes d’armes chargeaient avec furie, leurs Suisses n’avaient point l’habitude de lâcher pied, leurs archers écossais, bien que peu nombreux, étaient redoutables et l’on n’entendait pas sans frémir le son de harpe que rendaient leurs armes en se détendant. Enfin, leur artillerie, la première du monde, sans en excepter celle du duc de Ferrare, semait la terreur. On se racontait qu’après avoir déchargé leurs coulevrines, il n’était point rare de les voir les recharger dans la même bataille, en tirer un second coup et plusieurs autres encore avant la fin de la journée, ce qui, au XVe siècle, tenait de la sorcellerie. Jusqu’à leur petit nombre qui achevait de troubler les esprits, car, pensait-on, pour qu’une si grande infériorité ne les empêchât pas de venir droit au danger, il fallait qu’ils se fussent, par quelque pacte diabolique, assurés contre tout événement. Aussi les Mantouans se vouaient-ils à tous les sainte du Paradis et spécialement aux saints militaires, saint Georges et l’archange saint Michel, et aux patrons de leur cité saint André et saint Longin, et envoyaient-ils force reliques aux combattans. Il y avait alors, dans un monastère de Mantoue, une religieuse, parente et amie des Gonzague, nommée Osanna de Andrasi, femme de grande vertu et de bon conseil, un peu prophétesse, qui passait pour avoir l’oreille des saints. Elle se mit à prier nuit et jour, pour le salut du condottiere. C’était surtout la Madone qu’elle priait. On comprend donc l’émoi de la foule quand on crut la Madone insultée par le juif Norsa : ce n’était pas le moment de se brouiller avec le ciel.

Les Français, de leur côté, n’étaient guère plus rassurés.