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quelques centaines de lances occuperaient l’avant-garde par une attaque simultanée. Aucun plan ne pouvait être meilleur. Pour l’exécuter, il partagea ses troupes de première ligne en deux colonnes, dont l’une passa le Taro bien en avant de l’avant-garde française, pour l’attendre et l’arrêter, et l’autre bien en arrière de l’arrière-garde française, pour la poursuivre et la culbuter. La première, qu’il confia au comte de Caiazzo, chef des gens du duc de Milan, les ducheschi, se composait de 600 lances et de 2 000 Suisses. Ils passèrent près du camp italien, au gué d’Oppiano, et se portèrent au-devant des Français. Ils laissaient sur la rive droite du Taro une réserve, la cinquième escadre, sous les ordres de Pian de Melilo et de Galeazzo Pallavicini, réserve qui devait les appuyer en cas de besoin. Gonzague se réserva à lui-même l’attaque de l’arrière-garde où il savait que se trouvait le Roi. Il remonta donc le Taro, avec son oncle Rodolfo Gonzague, à la tête du premier escadron et trois autres Gonzague, avec Bernardino Fortebracci à la tête du second escadron d’hommes d’armes, suivi de près par ses 1 500 stradiots et à quelque distance par 4 000 hommes de pied, il arriva dans Fornovo que les Français avaient quitté le matin, passa le torrent au gué de Bernini et marcha à l’ennemi dont on voyait le dos à 1 000 mètres de là, s’en allant, cahin-caha, trébuchant sur le sol caillouteux de la grève, ne demandant qu’à voyager en paix. Il laissait sur la rive droite une réserve composée de sa cinquième escadre sous les ordres d’Antoine de Montefeltro, un bâtard du grand condottiere. Celui-là attendait face au torrent, que Rodolfo Gonzague, l’oncle du marquis, lui fit dire de marcher.

Les Français, en voyant venir Gonzague, se disjoignirent. Leur avant-garde continua d’avancer en descendant le Taro, tandis que l’arrière-garde s’arrêta, fit face à la rivière et attendit. Le Roi lui-même, prévenu de ce qui se passait, cessa d’armer des chevaliers, à quoi il s’amusait depuis un moment, et, tournant le dos à son avant-garde, retourna sur ses pas pour rejoindre l’arrière-garde et, fendant la presse des hommes d’armes, grâce à ses capitaines qui lui faisaient place en criant : « Passez, Sire, passez ! » il s’avança jusqu’au front, devant même son enseigne, prêt à payer de sa personne. Cette journée avait changé Charles VIII. On ne reconnaissait plus le jeune homme chétif, timide et indécis, qu’on avait vu à la Cour et dans les