Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soldats espagnols laissait apparaître une société sans institutions politiques, morcelée entre les coteries de caudillos rivaux et qui doit faire effort encore, après cent ans écoulés, pour dégager la notion d’un intérêt général de l’émiettement des partis et des influences de personnes. Le Chili toutefois, resserré par la géographie dans une région bien délimitée, a pris forme d’Etat moderne plus tôt que d’autres républiques voisines ; le fédéralisme outrancier qui, parmi ces Latins, multiplie si malheureusement le personnel politique, ne l’a emporté que pendant peu d’années, aux termes de la constitution de 1828 ; de véritables hommes d’Etat, les Joaquin Prieto, les Diego Portalès ont ensuite gouverné avec des vues plus larges, désireux surtout de conciliation et d’union civiques. La nationalité chilienne s’est ensuite affirmée, trempée dans des épreuves militaires, guerres contre Santa-Cruz, dictateur de la Bolivie et du Pérou (1836-1839), contre l’Espagne (1865-1867), guerre « du Pacifique » (1879-1881). Le Chili, essaimant autour de sa région centrale, a conquis ainsi de nouveaux domaines de colonisation ; il a résolu pacifiquement un litige de frontières avec l’Argentine, dont il est aujourd’hui voisin le long des Andes, jusqu’à la Terre de Feu ; la Bolivie a accepté des cessions consenties après la guerre du Pacifique, mais il reste encore, pour les provinces alors conquises sur le Pérou, un litige pendant.

Soldats par vocation héréditaire, les Chiliens tiennent passionnément à leur marine et à leur armée ; quelles qu’aient été les vicissitudes de la politique, aucun gouvernement n’a négligé ces forces nationales ; il est vrai que l’armée et la marine ne furent pas toujours d’accord entre elles ; le président Balmaceda, qui s’appuyait sur la première, fut renversé en 1891 par une révolution partie du Nord, et dont les chefs avaient d’abord rallié la flotte ; mais il semble bien que, dans les vingt dernières années, ces rivalités aient été tout à fait oubliées. Le Chili constitue donc une puissance militaire, en raison même des habitudes et des goûts de ses citoyens ; c’est un sentiment qui s’est affirmé, en 1910, pendant toutes les fêtes du Centenaire. A Valparaiso, le Club naval est l’édifice qui frappe le premier l’œil du voyageur, au sortir de la gare ; il est tout voisin d’un monument élevé aux officiers et matelots morts héroïquement pendant la guerre du Pacifique ; si le visiteur étranger veut faire une démarche de courtoisie auprès des