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fruitiers ; les maisons se dispersent dans la campagne, les champs sont bordés de haies ; des pâturages, d’un vert liquide, dessinent les vallées basses ; ici et là, des coulées de galets, sillonnées d’un filet d’eau limoneuse, indiquent une circulation des rivières encore mal distribuée, des alternances capricieuses entre les maigres et les crues. Nulle part, à ce qu’il semble, la vie du paysan ne doit être pénible ; les marchés ruraux, même dans la saison la plus froide, sont égayés par des étalages de fleurs ; les chariots à bœufs y déversent des pyramides de fruits et de légumes, de toutes saveurs et de toutes tailles, depuis le petit haricot (frejol) jusqu’au gros melon d’eau (sandia), en passant par la pomme, la figue, la grenade, l’olive, etc. Certes, la culture n’est pas toujours très prévoyante et, sur de grands domaines, la terre est surmenée par deux récoltes annuelles, l’une de maïs, l’autre d’orge ou de blé ; même sollicitée sans égards, elle est compatissante à l’homme ; ici le vers du poète chante dans la mémoire :


Fundit humo facilem victum justissima tellus !


Mais ce terroir chilien, si libéral, souffre d’un grave défaut, son morcellement extrême ; il présente, dans l’épaisseur du soulèvement andin, qui plonge immédiatement dans la mer, des alvéoles à fond plat, aux bords abrupts, communiquant malaisément entre eux ; pour sortir de la plaine de Santiago, il faut de tous côtés s’engager dans des défilés ; les ports, Valparaiso même, sont posés sur des baies sans rayonnement naturel dans l’intérieur. Le Chili central est formé d’une série de compartimens que l’évolution de la conquête espagnole a entr’ouverts les uns aux autres, à une époque de vie économique pauvre, de circulation médiocre ; au Sud, les chenaux et les fiords suppriment l’inconvénient des cloisons entre les districts cultivés ; dans le Nord au contraire, les communications sont d’autant plus précaires que l’eau manque souvent, sur le tracé d’itinéraires au profil de montagnes russes. Les étrangers qui les premiers, au XIXe siècle, attaquèrent les mines, indifférens à toute autre chose que leur exploitation particulière, n’ont eu d’autre programme que de rattacher à un port la poche où ils trouvaient le minerai ; de là le dessin des voies ferrées d’abord construites au Chili, un chapelet de chemins locaux, perpendiculaires à la