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d’Alcide. Premièrement Iole aime Philoctète, de qui secondement elle est aimée. Déjanire enfin et surtout n’entend pas souffrir une trahison. Après quelques péripéties, dont la plus décisive est le consentement résigné d’Iole à l’hymen qu’elle déteste, le salut de Philoctète étant à ce prix, Déjanire a recours à l’envoi de la tunique sanglante, ne la croyant douée que d’un charme d’amour.

Vous en savez l’effet plus funeste. Autrefois Chénier, d’après Ovide, l’a décrit superbement :


Œta, mont ennobli par cette nuit ardente,
Quand l’infidèle époux d’une épouse imprudente
Reçut de son amour un présent trop jaloux.
Victime du Centaure immolé par ses coups,
Il brise tes forêts : ta cime épaisse et sombre
En un bûcher immense amoncelle sans nombre
Les sapins résineux que son bras a ployés.
Il y porte la flamme, il monte, sous ses pieds
Etend du vieux lion la dépouille héroïque.
Et, l’œil au ciel, la main sur la massue antique,
Attend sa récompense et l’heure d’être un dieu.
Le vent souffle et mugit. Le bûcher tout en feu
Brille autour du héros, et la flamme rapide
Porte aux palais divins l’âme du grand Alcide.


A l’Opéra, les choses finissent aussi mal, mais avec moins de magnificence, et surtout beaucoup plus lestement. Ce dénouement, que Musset, à bon droit, aurait qualifié de « bien cuit, » ne met peut-être pas cinq minutes à cuire.

En général, une des qualités éminentes du nouvel opéra de M. Saint-Saëns est la brièveté. Rien n’y traîne, rien n’y languit, hormis peut-être, par momens, le rôle nécessairement ingrat de Philoctète. Mais cette brièveté n’est pas sécheresse, encore moins indigence. La musique de Déjanire a les caractères d’une esquisse et comme d’un crayon sonore, mais qui serait d’un maître : la sûreté, la force, avec la souplesse, l’aisance, et, quand il le faut, la finesse. Elle suggère, cette musique, elle indique, et elle passe. Elle sait, en disant peu, tout faire entendre. Elle épargne la matière et la choisit, au lieu de la prodiguer. Des notes, en petit nombre lui suffisent : toutes celles pourtant qui sont nécessaires, et quelques-unes avec, pour l’agrément, parfois pour les délices. Prenez les personnages et les « situations : » comme caractères et comme « effets, » comme vie et comme vérité, rien n’y manque. Les deux figures d’Hercule et de Déjanire, soit isolées, soit aux prises l’une avec l’autre, sont posées,