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principale qualité de la musique[1]. » Aussi ne la recherche-t-il pas avant tout et toujours. En tel ou tel passage de Déjanire, il se peut que la musique soit expressive modérément, ou que même elle ne prétende exprimer rien. Elle n’en est pas moins de la musique, et de la meilleure. Quand Déjanire conte à Phénice l’histoire de Nessus et de son propre enlèvement, de sa délivrance et de la tunique sanglante laissée entre ses mains par son ravisseur expirant, la narration nous paraît un modèle de ce genre, ou de ce style, où la musique, n’ayant pas à nous émouvoir, sait pourtant nous intéresser et nous retenir. Un autre épisode, plus secondaire encore (Phénice offrant à la reine le secours de ses enchantemens), pourrait bien être, dans le goût classique, archaïque même, un petit chef-d’œuvre de musique pure. Mais n’allez pas au moins vous imaginer que le public de l’Opéra prenne garde à de telles vétilles.

Ainsi le musicien de Déjanire « fait de la musique » à propos de tout, et de rien, pour le plaisir comme on dit, pour le sien et pour le nôtre. Mais dans cette musique parfois, quoi qu’en pensent les gens qui ne la sentent pas, notre cœur autant que notre esprit s’intéresse. Il serait hardi de refuser le don du pathétique au musicien de Samson et Dalila. Et maint passage, par nous cité, de son œuvre nouvelle, ne permet pas non plus qu’on accuse d’apathie Hercule, ou Déjanire même, ou la foule, sympathisant avec eux. Fût-ce dans l’ordre des sentimens tempérés, nous défendrions contre M. Saint-Saëns la valeur expressive de la musique, et de sa musique à lui. Nous lui ferions avouer, par exemple, qu’il y a dans le rôle d’Iole des grâces et comme des blancheurs exquises, ou que les adieux mensongers de Déjanire à Hercule respirent la plus hypocrite tendresse. Il n’est pas jusqu’aux choses mêmes, que cette musique ne sache rendre vivantes et poétiques : témoin l’espèce d’invocation que Déjanire adresse d’abord à la robe fatale, puis au firmament, où Junon, dit-elle, a placé, parmi les astres, les victimes du héros. Poésie de la nature, poésie du surnaturel, aucune ici ne manque ; par le contour mélodique, par les accords et par les timbres, tout nous devient sensible : l’influence de la tunique mystérieuse, et la profondeur de l’azur nocturne, et le scintillement des constellations.

Quant au sentiment proprement dit, plusieurs ont estimé qu’il y en avait trop, et de la sentimentalité même, au dernier acte, dans le chant nuptial d’Hercule. Ils ont traité de romance, ou peu s’en faut,

  1. Portraits et souvenirs (article sur Gounod).