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enfui. Turgot parti, croulait la foi dans la vertu curative des principes, dans la puissance des théories, dans les bienfaits de la logique. C’en est fait, désormais, jusqu’en 1789, de la philosophie appliquée à la politique, des idées générales présidant à la direction des affaires de l’Etat. Le grand médecin ayant échoué, il ne restait plus, pensait-on, qu’à essayer des empiriques. La chute d’une généreuse et tenace illusion ne pouvait manquer de produire, dans toutes les couches de la nation, un douloureux et profond ébranlement.

A un point de vue plus étroit, la défaite de Turgot, par une conséquence naturelle, est la victoire du Parlement, ennemi né des innovations, refuge de toutes les traditions, conservatoire de toutes les vieilles routines. Dès le lendemain du geste de Louis XVI congédiant son ministre, on voit cette victoire s’affirmer par des déclarations publiques, par une altitude orgueilleuse, au détriment de la puissance et du prestige du trône.

Enfin, et pour les mêmes raisons, c’est également la revanche de Maurepas. Son horreur des complications, l’insouciante légèreté qui lui fait sacrifier d’instinct à la tranquillité présente tout progrès obtenu au prix d’une lutte ou d’un effort, son égoïsme de vieillard qui ne prétend qu’à jouir en paix de ses dernières années, reçoivent une satisfaction éclatante par le départ de l’homme dont le hardi programme bouleversait implacablement des institutions séculaires. Il se croit assuré de faire prévaloir à l’avenir la politique qu’il préconise, la politique de ménagemens, qui temporise, ajourne et remplace par des expédiens la solution des difficiles problèmes, méthode plus commode que glorieuse, mais, il faut bien le reconnaître, singulièrement conforme à la secrète humeur du Roi. Cet espoir du Mentor ne sera point déçu. « Le règne de M. de Maurepas, constate l’abbé Georgel[1], commence réellement à dater du renvoi de Turgot. » — « Le crédit de M. de Maurepas, écrit de son côté la marquise du Deffand[2], non seulement se maintient, mais il se fortifie ; il en jouira toute sa vie… Il est vrai, ajoute-t-elle avec philosophie, que, comme il se fait vieux, il y a de la marge dans l’avenir. »

On eut de cette faveur une preuve irrécusable dans la déclaration royale qui, la semaine suivante, attribuait à Maurepas

  1. Mémoires de l’abbé Georgel.
  2. Lettre du 24 juin 1776. Correspondance publiée par M. de Lescure.