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le mécanisme invisible de la divination lorsqu’il dit : « Si le corps dispose d’un grand nombre d’instrumens, l’âme à son tour se sert du corps et des parties dont le corps est composé ; enfin l’âme est pour Dieu un instrument. Mais cet instrument est forcément imparfait. La pensée de Dieu doit se révéler sous une forme qui n’est pas la sienne et, en se produisant par un intermédiaire, elle se remplit et se pénètre de la nature de cet intermédiaire. Comme le Dieu agite cette âme, elle ne peut demeurer immobile et dans son assiette naturelle. Les mouvemens qu’elle éprouve en elle-même et les passions qui la troublent sont une sorte de mer agitée, où elle se débat bruyamment et où elle s’embarrasse. » Quand Plutarque ajoute : « Le Dieu qui réside dans cette enceinte se sert de la Pythie pour se faire entendre comme le soleil se sert de la lune pour se faire voir[1], » cela veut dire que l’oracle de la Pythie est un reflet très affaibli des visions qui passent devant son âme lucide avec la rapidité d’éclairs successifs aussitôt suivis de ténèbres épaisses. Si l’on veut se faire une idée de cette sorte de divination, il faut lire la puissante description que nous donne Lucain dans sa Pharsale du délire prophétique de Phémonoée, prêtresse de Delphes consultée par Appius, au moment où le commandement de la République tut décerné à Pompée.

« Le plus grand malheur de notre siècle, dit Lucain, c’est d’avoir perdu cet admirable présent du ciel. L’oracle de Delphes est muet depuis que les rois craignent l’avenir et ne veulent plus laisser parler les Dieux… Ainsi dormaient les trépieds depuis longtemps immobiles, quand Appius vint troubler ce repos et demander le dernier mot de la guerre civile… Sur les bords des sources de Castalie, au fond des bois solitaires, se promenait joyeuse et sans crainte la jeune Phémonoée ; le pontife la saisit et l’entraîne avec force vers le sanctuaire. Tremblante et n’osant toucher le seuil terrible, elle veut, par une ruse inutile, détourner Appius de son désir ardent de connaître l’avenir… On reconnaît cette ruse, et la terreur même de la prêtresse fait croire à la présence du Dieu qu’elle avait nié. Alors elle noue ses cheveux sur son front, et enferme ceux qui flottent sur ses épaules d’une bandelette blanche et d’une couronne de laurier de Phocide. Mais elle hésite encore et n’ose

  1. Plutarque, Œuvres morales ; Sur ce que la Pythie ne rend plus ses oracles en vers, 21.