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cependant, avant de partir, le temps de se faire revivre dans un enfant qui sera beau comme lui, mais cette beauté est un peu gâtée par un accident survenu lorsqu’il vient au monde. Le petit Byron est pied bot ; il ne peut, quand il marche, poser à terre un de ses talons.

La mère est toute différente du père, c’est une Ecossaise, une Gordon. Elle a les qualités et les défauts de sa race, peut-être faudrait-il dire de son clan. Passablement vulgaire de façons, quoique de bonne famille ; avare, susceptible et querelleuse, elle brandit furieusement les pincettes quand on la contredit et, — dans certaines occasions mémorables, — les lance à la tête du contradicteur. Son ambition est de balancer, quand finit l’année, l’humble budget de cent cinquante livres, dernier débris de la fortune jetée en pâture aux créanciers du capitaine Byron. Donc, elle s’est installée dans quelques pièces qui forment l’étage supérieur d’une maison d’Aberdeen. C’est là que la mère et le fils vivent, enfermés par la pauvreté dans cette atmosphère où la rigueur puritaine devait être quelque peu adoucie par la libre familiarité des vieilles mœurs celtiques et par l’humeur aventureuse des gens de mer. Dans ce que je viens d’écrire, le lecteur a dû, sans que je l’avertisse, pressentir quelques traits du futur poète et reconnaître, aussi, d’autres traits qui, par l’horreur qu’ils lui ont inspirée, ont tenu aussi une certaine place dans la formation progressive de ses facultés.

Dans cette même ville et, je crois, dans cette même rue, demeure une petite fille du même âge que George Byron ; elle se nomme Mary Duff, et c’est elle qui inscrira la première son nom sur cette liste des Mille et trois. Le petit garçon lui écrit des lettres d’amour auxquelles sa bonne collabore. Elle fournit l’orthographe, lui les sentimens. On ne sait trop jusqu’à quel point Mary Duff lui rend sa tendresse, mais elle est fière de recevoir des lettres d’amour et s’efforce de faire sentir sa] supériorité à ses camarades qui n’en reçoivent pas. A sept ans, on l’emmène dans une autre ville, et le roman se termine ainsi.

Amour enfantin, dira-t-on, passion d’une heure ! C’est ce que pensaient ceux qui en avaient été les témoins et c’est ce que pensait, de même, Mrs Byron. Aussi, lorsqu’elle apprit, dix ans plus tard, le mariage de Mary Duff avec Cockburn, le grand marchand de vins d’Edimbourg dont le nom était cher à tous les ivrognes du Royaume-Uni, elle l’annonça en riant à son