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elle toutes les qualités et toutes les séductions de la femme. Depuis, je me suis aperçu qu’elle était comme les autres. » La science était fort à la mode dans le grand monde. Mais miss Chaworth appartenait seulement à la petite noblesse de province, qui était alors médiocrement cultivée. On peut aisément imaginer l’effet que produisit le futur châtelain de Newstead sur miss Chaworth : très intéressant et un peu ridicule. Pourquoi intéressant ? Parce qu’il avait une jolie figure, qu’il disait des choses ravissantes et qu’il était lord. Pourquoi ridicule ? Parce qu’un petit garçon qui fait la cour à une grande fille l’est toujours un peu et, surtout, — oh ! ceci est impardonnable aux yeux des jeunes Anglaises, — parce qu’il était gras. Il n’y avait aucun usage sérieux à faire de lui, car il eût fallu attendre trop longtemps pour l’épouser. D’ailleurs, un engagement, encore secret, la liait à un jeune squire du voisinage, nommé Musters, qui le prenait de haut avec l’écolier de Harrow comme avec un personnage sans conséquence. Un jour, cependant, comme ils se baignaient ensemble dans le Trent, il découvrit parmi les effets du jeune lord une bague qui appartenait à sa fiancée. Elle l’avait, paraît-il, donnée à Byron et lui avait permis de la porter. Grande colère de Musters à ce sujet, et grande dispute entre les jeunes gens. Mary fit connaître son engagement, et Byron rentra à l’Ecole, aussi affligé que mortifié.

Quelques années après, Byron et miss Chaworth se rencontrent à un dîner où une malicieuse hôtesse s’amuse à les placer l’un près de l’autre. Mary est mariée et très malheureuse : son mari est un brutal et un ivrogne, qui est à la fois infidèle et jaloux, suivant la mode des maris anglais de ce temps-là. Quant au poète, il a passé par l’Université ; il a publié les Hours of ldleness et la foudroyante riposte à Brougham : English Bards and Scotch reviewers. Ses extravagances, ses débauches, ses dettes lui ont déjà fait une sorte d’auréole.

Que va-t-il se passer ? Il ne se passe rien. Byron, troublé, dévoré par l’émotion, n’adresse pas un mot à sa voisine ; il ne la regarde pas. Probablement il l’aime plus en ce moment qu’il ne l’a jamais aimée. C’est un amour intérieur, purement subjectif comme celui qu’eût éveillé en lui le souvenir d’une morte ou d’une absente. Le dîner s’achève ; ils s’éloignent. Se reverront-ils jamais ? Nous en avions douté jusqu’au jour où M. Richard Edgcumbe et M. Francis Gribble ont évoqué le fantôme de