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la personne de la reine Charlotte, elle a épousé un officier sans fortune, le colonel Leigh. Trois enfans sont déjà nés de cette union, à d’époque où nous sommes arrivés ; quatre viendront encore ajouter à leur bonheur, qui nous est affirmé par plusieurs personnes, et à leurs embarras financiers, qui sont encore plus certains.

En réalité, si l’on s’en rapporte aux témoignages les plus sérieux, le colonel Leigh est un bourreau d’argent et un chercheur de plaisir. Il n’est jamais chez lui et Mrs Leigh, de son côté, passe la plus grande partie de sa vie dans son petit appartement du palais de Saint-James où l’appelle et la retient sa charge de Cour. Elle ne rentre, semble-t-il, que pour accoucher dans la petite et inconfortable maison de Six Mile Bottom où ils sont censés résider. On voit que leur entente conjugale était due à une perpétuelle absence en même temps qu’à une indifférence profonde. Ni les cris de ses enfans, petits sauvages sans frein, ni les innombrables infidélités de son mari, ni les difficultés, sans cesse renaissantes, du budget domestique ne troublent la bonne humeur de Mrs Leigh, qui semble décidée à jouir de la vie et à répandre la joie autour d’elle.

Elle n’est nullement dévote (du reste, ce n’est pas la mode à la cour du Prince-régent) ; cependant, elle laisse, dans ses lettres, tomber à intervalles réguliers le nom du « Dieu tout-puissant, » à peu près comme on y sème des points d’exclamation. Sa morale est tout humaine, toute mondaine, tellement humaine et mondaine que ce n’est presque plus une morale. Mettre à la cape dans la tempête, vivre au jour le jour, éviter le scandale qui rend toute faute irréparable : tels en sont les principaux articles.

Gaie, étourdie, instable comme un enfant, elle savait, pourtant, se contenir, se garder, s’envelopper de silence et d’impassibilité, jouer l’énigme sous son masque souriant de femme du monde. Ses lettres ne sont ni d’un bas bleu ni d’une sotte, mais lorsqu’elle exprime des sentimens malaisés à définir, ou lorsqu’elle traite des questions délicates, sa pensée devient trouble et imprécise, comme si elle ne se comprenait pas elle-même, ou comme si elle voulait se dérober.

Ces lettres ne révèlent pas sa vraie nature, si elle en eut une. Peut-être que, chez Augusta Leigh, ainsi que chez beaucoup d’êtres humains, il n’y avait rien qu’une vive sensibilité