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Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 7.djvu/417

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être épouvantée, mais profondément émue. Autant que je puis me faire une idée sur le caractère de cette passion d’après les documens maigres et tronqués que j’ai à ma disposition, je me figure qu’elle fut d’abord une fantaisie sensuelle, mêlée à bien d’autres ; peu à peu elle grandit, irritée par l’absence et par le scandale qu’elle soulevait ; enfin elle atteignit son paroxysme de violence dans Manfred. Lorsqu’elle s’éteignit faute d’aliment, la puissance d’aimer s’éteignit avec elle dans le cœur de Byron.

En 1830, les deux femmes, n’ayant plus rien à redouter ni à espérer l’une de l’autre, se brouillèrent à propos de leurs intérêts pécuniaires. Mais, en 1842, un triste épisode les mit toutes deux en scène. Il s’agit de cette infortunée Médora dont la destinée forme un de ces romans que les Goncourt aimaient à écrire. Elle se trouvait, à quatorze ans, dans la maison d’une de ses sœurs mariée et alors en couches, lorsqu’elle fut séduite par son beau-frère. On leur pardonna : ils recommencèrent et, finalement, s’enfuirent ensemble sur le continent. Ils étaient sans ressources et traînèrent une existence misérable, las l’un de l’autre, sans pouvoir, semble-t-il, se quitter. Médora trouva un refuge momentané dans un couvent de Bretagne, puis retomba sous le joug. En 1840 (elle avait alors vingt-cinq ans), elle fit une nouvelle tentative pour reprendre sa liberté. Mrs Leigh ne pouvant ou ne voulant plus rien faire pour elle, l’idée lui vint de s’adresser à lady Byron. Celle-ci vint à Paris pour la voir, ainsi que son gendre et sa fille, lord et lady Lovelace. Elle lui accorda une petite pension, et il fut convenu que la jeune femme irait en vivre obscurément à Hyères, dont le doux climat était, disait-on, nécessaire à sa santé chancelante et à celle de sa petite fille. Cette générosité surprend un peu de la part de lady Byron, mais elle touche moins lorsqu’on apprend qu’elle s’en paya par le plaisir de faire connaître à la malheureuse créature le secret de sa naissance. D’ailleurs, elle mit à ses bienfaits des conditions si difficiles à observer qu’elles ne pouvaient manquer d’en limiter la durée. En effet Médora se lassa vite d’être internée à Hyères, sous la surveillance d’un couple de domestiques-espions. Elle rompit son ban et alla à Paris. Aussitôt sa pension fut supprimée et elle connut les extrémités de la misère. Elle consulta notre grand Berryer qui lui témoigna quelque intérêt, mais ne put que l’engager à faire tous ses efforts pour rentrer en grâce auprès de sa famille. Dans cette