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que Montesquieu tenait pour être spécialement celui de la vertu, la morale n’ait pas eu moins à gémir que sous les tyrans ? Il n’y a plus de Montespan ni de Pompadour ; tout s’est démocratisé ; mais la chronique scandaleuse n’y a rien perdu. En arrivant à Paris, du fond de la province où ils avaient mené une existence austère, de petits avocats ou des magistrats sans gloire, promus députés, sont assez sujets à une soudaine griserie : pour être législateur, on n’en est pas moins homme. Ils ne résistent pas à l’atmosphère de la ville où le plaisir est le plus facile et au meilleur marché, disait Rolla ; mais tout augmente. Les dames qui se consacrent au bonheur des politiciens forment une variété du demi-monde. Elles ont des « salons » où elles se réunissent sous l’égide de l’une d’entre elles, arrivée à l’ancienneté. Tel est ce salon de la « Comtesse, » où l’on trouve des financiers, des journalistes, des ministres d’hier ou de demain, et qui mêle dans d’agréables proportions les affaires d’État et les affaires de cœur, ou, si vous préférez, de mœurs.

Parmi les fantoches qui font l’ornement de ce salon, le plus en vue est un certain Bourdolle, présentement ministre de l’Instruction publique. Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? Mais aussi pourquoi un autre plutôt que lui ? C’est un de ces personnages vides et sonores, dont l’étonnante fortune scandalise les simples et réjouit les philosophes. Leur élévation ne s’explique par aucune raison appréciable. Elle est parce qu’elle est. Jusqu’ici les joies du pouvoir ont suffi à contenter sa vanité toute neuve. Il préside des réunions, harangue des délégations, et trouve, à s’entendre appeler Monsieur le Ministre, une volupté qui n’est pas encore épuisée. Mais Dalila n’est pas loin. Elle s’appelle Luce Brévin, doit avoir été vaguement institutrice, et promène à travers les maisons d’édition, peu hospitalières à ce genre de littérature, un « Traité de l’éducation des filles. » C’est tout ce qui nous reste de Mme de Maintenon.

Le deuxième acte, où nous assistons à l’effondrement de Bourdolle, est délicieux. Nous qui en avons tant vu tomber de ministres, nous n’en avons vu aucun tomber plus joyeusement que celui-là. Il arrive tout étourdi et, — par ce temps de records, — un peu fier de sa chute, l’une des plus soudaines et des plus complètes dont on se souvienne dans les annales parlementaires. Il était à la tribune, sans méfiance, et, dans une interpellation de tout repos, escomptait déjà un triomphe aisé, lorsqu’un incident minuscule a tout à coup changé la victoire en déroute. Un obscur député lui ayant inopinément « sorti » un de ses discours d’autrefois, la Chambre a eu l’indiscrète