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Beaucoup de personnages, dont aucun n’a un rôle de premier plan. Citons néanmoins, dans le nombre des interprètes, M. Lérand excellent dans le rôle de Nam Trieu, M. Joffre, un méridional très pittoresque, MM. Duquesne et Gauthier, et Mlle Polaire.


Je me plaignais récemment qu’on ne laissât pas tranquilles, dans leur glorieux repos, les œuvres consacrées par une juste admiration et, par exemple, qu’on se plût à dénaturer nos plus fameux romans pour les adapter à la scène. Il est des chefs-d’œuvre pour tous les âges et de toutes les tailles. Si nous avons la « Comédie humaine, » nos enfans ont la « Bibliothèque rose. » Mme de Ségur est leur Balzac. C’est exactement le contraire d’être leur Berquin. J’entends par là que dans sa riche galerie, si elle a été un admirable peintre de l’âme enfantine, elle en a toutefois ignoré un aspect. L’enfance rêveuse, amie du merveilleux, créatrice inépuisable de fictions et de chimères, lui a échappé. (J’en parle de souvenir, et mes souvenirs remontent à bien plus de quarante ans. Mais j’ai su par cœur les Malheurs de Sophie et le Bon petit Diable). Elle a démêlé chez ses petits personnages toute la variété d’instincts qui, lorsqu’ils auront grandi, s’appelleront les passions. Sophie est curieuse, gourmande, emportée, indiscrète, et par-dessus tout indisciplinée. Son cerveau est sans cesse en travail d’une invention nouvelle, délicieusement saugrenue et perverse. Je me suis souvent demandé, avec énormément d’intérêt, ce que deviendrait Sophie quand elle serait femme. Charles Mac Lance, orphelin, est recueilli par une vieille parente, Mme Mac Miche. Pour la remercier de ne pas le laisser à l’abandon, il n’est pas de méchant tour qu’il ne lui joue. C’est sa manière d’être « bon. » Mme de Ségur dirait volontiers, comme La Fontaine : « Cet âge est sans pitié. » Elle en a connu la malice, l’espièglerie, la cruauté inconsciente, la logique imperturbable, la fougue et la diablerie. Elle en a ignoré le côté tendre, sentimental et poétique.

Alors, quelle idée singulière d’avoir, sur le thème réaliste de cet incontestable chef-d’œuvre, le Bon petit Diable, brodé une fantaisie poétique, sentimentale, oratoire et lyrique, qui est un contresens ingénieux, je le veux bien, mais un perpétuel contresens ! La pièce est divisée en trois actes dont le premier représente l’enfance de Charles et les tourmens que lui fait subir la terrible Mac Miche ; le second nous le montre adolescent, auprès de la petite aveugle Juliette dont il est amoureux ; au troisième, après de folles orgies, il revient à la maison de son enfance. Mais que ce soit dans sa soupente