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de refuser que par goût et par volonté. » Cela est vrai, sans doute, mais on n’en saurait dire autant du gaspillage personnel de la Reine, de la progression continue des dépenses de toilette, des achats de pierreries et surtout des pertes au jeu. La Reine, à sa table de pharaon, est comme prise de vertige ; les tas d’or fondent entre ses doigts, sans qu’elle semble en avoir conscience. Le Comte d’Artois la pousse, l’excite, l’entraîne avec soi sur cette pente. En une nuit, à Marly, la Heine perd 500 louis, son beau-frère 17 000. De tels excès donnent lieu, comme il est presque inévitable, à des altercations, à des « discussions indécentes, » à des « scènes tumultueuses, » où s’altère lamentablement la dignité du trône.

Sur ce terrain, Mercy et l’abbé de Vermond se sentent entièrement débordés et vaincus à l’avance ; ils finissent même par renoncer à faire de la morale. L’abbé, dans son découragement, songe sérieusement à quitter la partie, à prendre sa retraite ; il faut, pour le faire rester à son poste, les instances de Marie-Thérèse : « Ma fille court à grands pas à sa perte, étant entourée de bas flatteurs qui la poussent contre ses propres intérêts. Dans ces circonstances, elle a besoin de vos secours. Mercy et moi espérons que vous tâcherez de traîner votre retraite jusqu’à l’hiver. Si alors les choses ne changent, je ne saurais exiger de vous de nouveaux sacrifices. » Si Mercy est plus résigné, il n’a pas plus d’illusions que l’abbé sur l’efficacité de ses sages homélies : « Les momens[1]de parler de choses sérieuses sont courts. Sa Majesté les fuit souvent par un propos de gaîté, en disant que l’heure de la raison viendrait, mais qu’il fallait s’amuser. »

En attendant cette « heure de la raison, » les dettes, à ce métier, grossissent d’une manière effrayante. Vainement, depuis le jour de l’accession au trône, la pension de la Heine a-t-elle été plus que doublée ; vainement, sous l’aiguillon de la nécessité, Marie-Antoinette en vient-elle à négliger ses plus sacrés devoirs, à étouffer tous ses instincts de souveraine charitable, à rogner les fonds destinés à ses aumônes privées et aux œuvres de bienfaisance ; malgré ces fâcheux sacrifices, le déficit s’accroît et le gouffre se creuse sans cesse. Elle se débat continuellement en de terribles embarras. Vers la fin de l’année 1776, Mercy, à

  1. Lettre du 17 novembre 1776. — Correspondance publiée par d’Arneth.