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tu n’eusses montré Aïn-Mahdy à personne avant que je l’aie recommencé.

Tu verras, en tout cas, que la partie que je t’envoie, devant inévitablement et dans tous les cas paraître la première, s’il y a chance que cela paraisse, il y a beaucoup de choses qui deviennent double emploi dans Aïn-Mahdy et qu’il faudrait supprimer.

Je ne réponds point à ta lettre, tendre ami, elle m’a prouvé que tu étais triste ; laisse-moi voiries causes… je sais ce que j’en tirerai. Tu vois que je travaille, et ceci nulle part ailleurs je ne le pourrais faire dans des conditions pareilles de repos.

J’ai suspendu mes dessins pour faire cette partie de mes Notes ; j’ai la tête un peu fatiguée. Demain je me mets à mon esquisse. Aussitôt après, et en même temps le soir, j’achève l’Itinéraire et je te l’envoie. Nous verrons après Laghouat, qui est important.

Je suis plus sévère que toi, à moins que tu n’appelles un beau sobre une chose qui, à la relecture, m’est démontrée froide et indigente.

Adieu, cher, adieu, tendre, adieu, mon frère bien-aimé ; patience encore, je ne dors pas, mais je te le répète : à Paris, à La Rochelle d’abord, je tombe dans un tourbillon ; laisse-moi achever ici dans le repos ces notes, mon esquisse, mes dessins de voyage, que je ne ferais jamais ailleurs, je le sais, je le sens, de la même manière et avec la complète possession de moi. Laisse-moi voir les courses, la seule occasion que j’aie de voir un spectacle brillant après tant de choses mornes, et nous irons aussitôt après prendre enfin nos vacances avec vous.

Je suis crevé de fatigue. Adieu, adieu, chère et tendre mère, il fait chaud, il fait beau. Si je n’étais pas si bête, je mettrais un peu dans ce que je produis de la flamme qui me brûle le ventre. Adieu, vous deux que nous chérissons, je vous embrasse mille, mille, trois mille fois.

EUGENE.


Fromentin rentre en France au commencement d’octobre 1853.

Chargé de notes et de croquis, riche en souvenirs, il produit désormais fiévreusement. Le Salon de 1859 lui apporte une première médaille et la croix de la Légion d’honneur. Il publie, en 1857. Un été dans le Sahara, et, en 1859, Une année dans le Sahel, qui révèlent chez l’artiste un écrivain descriptif de premier ordre. Ces deux livres