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péché contre la raison d’Etat : mécontent d’eux, déjà, pour d’autres raisons que l’Empereur, il tenait désormais une arme contre eux, et, le jour venu, il la manierait.

Un second coup de pistolet, le 2 juin, précipita leur châtiment : cette fois, l’Empereur était blessé ; un homme d’une certaine culture, un Herr Doktor nommé Nobiliug, l’avait mis, pour quelques mois, hors d’état de gouverner. Le prince Frédéric, son fils, prit momentanément le pouvoir. Naturellement, les attaques reprirent contre Falk, coupable, disait-on, d’avoir laissé monter le socialisme, et contre les nationaux-libéraux, coupables de n’avoir pas voulu le réprimer. Frédéric, qui honorait de son amitié quelques nationaux-libéraux, ne céda pas aux courans qui menaçaient de balayer Falk ; mais il dut, sur le terrain proprement politique, céder aux impulsions de Bismarck, « Je les tiens, les coquins ! s’écria le chancelier lorsqu’il apprit l’attentat de Nobiling, dissolvons le Reichstag. » Les coquins, c’étaient non les socialistes, mais les nationaux-libéraux.

Il expliqua très expressément, dans un Mémoire destiné aux divers gouvernemens de l’Allemagne, que leur prétention d’être toujours consultés était insupportable ; que leur subordination aux élémens « progressistes, » aux élémens de gauche, était intolérable, et que s’ils continuaient, ils finiraient par le forcer de lutter contre eux. Il les accusait de vouloir le contraindre à les faire ministres, et à les laisser gouverner sans qu’il s’en mêlât : on le mettrait sur la table, lui Bismarck, comme une pomme véreuse servie pour la montre. Cela, il ne le voulait pas, et puisqu’ils manœuvraient pour se passer de lui, ce serait lui qui se passerait d’eux. Sa presse, au cours de la campagne électorale, fut, à leur endroit, malveillante et violente : des mots d’ordre s’essayaient, signifiaient au corps électoral qu’il fallait choisir entre Lasker et Bismarck. Il était naturel dès lors que leurs candidats fussent médiocrement bismarckiens. Bismarck épiait leur attitude, et de plus belle Bismarck se fâchait, et « plein de venin, plein de bile, » jetait feu et flamme contre eux.

Mais ce ministre des Cultes dont Guillaume avait paru préparer la disgrâce, et qui sous l’égide du prince Frédéric ne paraissait jouir que d’une trêve provisoire ; et ces parlementaires nationaux-libéraux dont évidemment Bismarck avait assez et contre lesquels il déchaînait sa presse, n’avaient-ils pas été, quelques années auparavant, les plus actifs ouvriers du