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VII

A l’écart de ces joutes oratoires, Bismarck faisait travailler, dans le secret, quelques commissaires industrieux. Ils alignaient et discutaient de longues suites de chiffres : c’était la série des nouveaux droits douaniers, que Bismarck voulait proposer, sans retard, à l’approbation du Reichstag. Il comptait insister, en même temps, comme il l’avait déjà fait inutilement en 1878, pour le vote d’un impôt sur le tabac. Il risquait là une grosse partie politique ; il en sentait toute l’importance, il devinait quels obstacles il aurait à déjouer, quelles alliances à chercher. Il s’y était décidé dès le 22 février 1878, à l’heure, observe l’historien Max Lenz, où sans doute il avait en main, déjà, la première lettre de Léon XIII à l’Empereur ; lentement, mûrement, à longue échéance, et devinant toutes les possibilités qui pouvaient succéder à une telle lettre, il avait préparé l’échiquier nouveau sur lequel il avait la ferme volonté de vaincre. Un groupe protectionniste s’était, en avril 1878, constitué au Reichstag : très grossi par les élections de juillet, il comprenait 204 membres, les uns conservateurs, les autres appartenant au Centre. Tel devait être, dans ce débat, le noyau de la majorité bismarckienne.

Ainsi s’annonçait, entre Bismarck et le Centre, la proximité d’une collaboration : si l’on veut un revirement économique, criaient joyeusement les Feuilles historico-politiques de Munich, on aura besoin de l’appui des catholiques. Bismarck songeait, sans doute, à s’assurer plus formellement cet appui, lorsque au printemps de 1879 son ministre Werthern, jetant à la nonciature de Munich un adroit coup de sonde, disait au nonce Masella qu’on serait heureux de l’accueillir à Berlin, dans l’été, comme envoyé extraordinaire de Léon XIII, pour les noces d’or de l’Empereur. L’attitude très nette prise par Masella contre les catholiques intransigeans, ardemment particularistes, qui formaient à Munich le parti du docteur Sigl, n’avait pu demeurer inaperçue du gouvernement prussien : un bon accueil, assurément, l’attendait à Berlin. Mais le nonce répondit que les pourparlers entre Borne et la Prusse étant jusqu’ici restés infructueux, cette démarche prélatice à la cour prussienne risquerait d’être incomprise. Bismarck, pour achever de gagner