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lumière céleste par d’innombrables générations et d’étranges métamorphoses. Il savait que, séparée de sa mère par l’inéluctable fatalité et la volonté des Dieux, elle était destinée à la rejoindre périodiquement à travers le labyrinthe de ses morts et de ses renaissances, de ses voyages multiples, du ciel à la terre et de la terre au ciel. Il le savait par un sentiment profond et irréfragable, il le percevait quelquefois par la vision de sa propre âme objectivée, reflétée comme dans un miroir. De là, le mythe émouvant de Perséphone, qu’on a pu nommer le drame primordial, la tragédie de l’âme qui se partage entre la terre, l’enfer et le ciel, et qui résume toutes les tragédies humaines en trois actes saisissans : la naissance, la mort et la résurrection. Los flammes dévorantes du désir, les ténèbres et les terreurs de l’oubli, la splendeur poignante du divin ressouvenir y épuisaient toutes les souffrances, toutes les joies de la vie terrestre et supramondaine.

Rappelons-nous l’hymne homérique à Déméter. Cérès a laissé sa fille Perséphone sur une prairie, au bord de l’Océan, en compagnie des nymphes, âmes élémentaires, primitives et pures comme elle-même. Elle lui a recommandé de ne pas cueillir le narcisse, la fleur tentatrice, création dangereuse d’Eros, qui cache un désir subtil sous sa blancheur étoilée et dont le parfum violent efface le souvenir céleste. Malgré les supplications des nymphes, Perséphone se laisse tenter par la fleur magique, jaillie du sol, qui tend vers elle ses pétales de neige et lui ouvre son cœur d’or. Elle la cueille et respire longuement le baume enivrant qui alourdit les sens et obscurcit la vue. À ce moment, la terre se fend ; Pluton en sort, saisit la vierge et l’emporte sur son char attelé de dragons. Le char rapide vole sur la surface de l’Océan. Perséphone éperdue voit fuir la terre, la mer et le ciel, puis s’engloutit avec son ravisseur dans une crevasse du Tartare. Image incisive de l’âme qui perd le souvenir divin par l’incarnation. Cette scène, que l’hymne homérique dépeint à grands traits, était représentée dès les temps anciens, dans la saison d’automne par une figuration sommaire. Les femmes se rendaient ensuite sur un promontoire, au bord de la mer, et se livraient à des lamentations funèbres sur la perte de Perséphone et sa descente aux enfers. La famille des Eumolpides, dont le fondateur Eumolpos fut probablement initié en Egypte, qui fonda les mystères d’Eleusis